Paquebot Ville du Havre à son lancement sous le nom de Napoléon III
(Affiche de Louis Lebreton, 1866)
Paquebot lancé le 11 février 1865, sous le nom de NAPOLEON III par les chantiers Thames Iron Works Co. de Blackwall pour la Compagnie Générale Transatlantique (1). Il mesure à l'origine 111mètres de long pour une largeur de 14,08 mètres. Sa jauge brute est de 3376 tonneaux. Il est propulsé par 2 roues à aubes latérales, et une machine à vapeur (construite par Ravenshill & Salked) lui permettant d'atteindre une vitesse de 13,5 noeuds.
Le grand salon (document M. Barbance : Histoire de la CGT) |
Pont promenade du Ville du Havre (Photo Collection G. Legoy) |
Il quitte, le 15 avril 1866, Le Havre pour faire ses essais. Il n'atteint le lendemain que 12,7 noeuds de moyenne et est refusé. Un voyage sur New York est néanmoins autorisé. Son premier départ du Havre a lieu le 26 avril 1866. Il arrive à New York le 10 mai. Avec une vitesse moyenne de 13,22 n., il est accepté, mais c'est le moins rapide des paquebots de la ligne. Après trois voyages jusqu'en septembre, est désarmé au Havre jusqu'au 19 décembre 1867. Dans l'année 1868, il ne fait que deux voyages et il est de nouveau désarmé jusqu'à la fin 1869.
A la fin de l'Empire (2), il est rebaptisé INVASION III. Il quitte Le Havre, le 16 septembre 1871 pour le chantier Leslie à Hebburn-on-Tyne, où il est transformé en paquebot à hélice, sa machine et remplacé par une machine compound à pilon 4 cylindres d'une puissance de 4200 chevaux. Sa coque est allongée de 17 mètres (longueur 128,50 m). Sa jauge passe alors à 5065 tonneaux. Il est doté d'un spardeck de bout en bout. Sa capacité est de 170 passagers de 1° classe, 100 de 2° classe et 50 de 3° classe. Il est renommé amors VILLE DU HAVRE.
Remis en service en mars 1873, il reprend la ligne le Havre-NewYork.
Le Napoleon III
Le 16 novembre 1873, le VILLE DU HAVRE quitte New York avec 313 passagers à bord. Le 22 novembre, il était par 47° de latitude Nord et 38° longitude Ouest, il marchait à pleine vapeur. Le second lieutenant était de service de quart. Il faisait un temps magnifique.Toutes les feux réglementaires étaient allumés, tout était parfaitement en règle.
A deux heures du matin, un choc épouvantable se produisit à bâbord. Le trois-mâts anglais LOCH EARN (3) de 1.800 tonneaux, de la Loch Line (4), capitaine Robertson, venait de prendre la VILLE-DU-HAVRE par le travers, perçant la coque et entrant jusqu'au milieu des machines, tant le choc avait été violent.
Un épouvantable désordre s'en suivit. M. Surmont, capitaine du VILLE-DU-HAVRE, s'élança de son lit et accourut sur le pont en bras de chemise. En même temps tous les passagers, s'élançaient des cabines. Le LOCH EARN dégagea son avant alors le flot s'engouffra par l'ouverture béante et l'immense vaisseau commença à s'enfoncer. Cela dura dix minutes, puis les flots se refermèrent sur la VILLE-DU-HAVRE. Dans ce court espace de temps, le LOCH EARN put jeter rapidement trois embarcations à la mer. Le VILLE-DU-HAVRE en avait simultanément affalé deux autres. Dans ces cinq chaloupes, ceux des passagers et de l'équipage qui ont pu atteindre le pont supérieur à temps et qui n'avaient pas été noyés dans leurs cabines, ont été successivement recueillis. Le VILLE-DU-HAVRE mâts principal et artimon effondré, écrase deux des ses canots de sauvetage, tuant plusieurs personnesLe LOCH EARN fit accueil aux survivants. Mais bientôt, fort avarié lui-même, il dut les transborder sur un navire américain qui vint à passer, le TREMOUNTAIN.
Le Ville-du-Havre
"Le TREMOUNTAIN est arrivé hier matin, premier décembre, à Cardiff, ayant à son bord les naufragés dont voici les noms. Passagers : Mary Hunter, Aimée Hunter, madame Anna Spafford (6), Miss Beadon, Fanny Bannigar, Cornelia Edgar, madame Balkley, M. et madame Swift, Hélène Mixtar, Madeleine Mixtar, MM. Waite, James Bishop, Lledo, Whithaus, Barbarson, Lorieaux, Legrand, Cremer, Coskey- butt, Mac Creery, Peikoap, Cook, Wejss, madame Crestla, Hippolyte Waite, Marconnat, Béquinot. Equipage : Vingt-cinq matelots, novices et mousses, dix-sept chauffeurs, douze garçons, et parmi les officiers, MM. Surmont, Garay, Meillour, Durbee, Pié et Gaillard En tout soixante personnes de l'équipage sur cent soixante-neuf, et vingt-huit passagers. On assure que parmi les passagers qui ont péri, se trouvait M. de Montagut, qui venait poser sa candidature dans la Gironde, à la place de M. Larrieu. M. de Montagut était le neveu de M. Dupouy, député et conseiller général de la Gironde. Il avait été colonel de la garde nationale, pendant le siège de Paris.
La VILLE-DU-HAVRE était assurée, pour 3 millions cinq cent mille francs à Londres et à Paris, elle valait cinq millions. La conduite du capitaine Surmont est au-dessus de tout éloge, ainsi que celle du second capitaine, M. Garay."
La collision (gravure d'époque) |
Le clipper Loch Earn |
"Le 15 novembre, à trois heures de l'après-midi, la VILLE-DU-HAVRE quittait son warf de New-York emmenant 135 passagers, 172 hommes d'équipage et de service et transportant une cargaison de blé,, coton, cuir et graisses. Pendant les premiers jours, la traversée fut contrariée par le mauvais temps ; puis, quand il fut sur le banc de Terre-Neuve, par un brouillard intense, commun du reste dans ces parages, dans la crainte d'aborder ou d'être abordé, le capitaine Surmont dut faire vibrer le sifflet d'alarme de minute en minute, et, tout le temps qu'il y eut danger, il ne voulu laisser à aucun de ses officiers la responsabilité des manoeuvres. La journée du 20 fut assez belle, ce qui permit aux passagers de jouir de la promenade sur la vaste dunette d'arrière, aux enfants de se livrera leurs jeux, et, le soir, quelques amateurs purent s'offrir dans le salon, un concert improvisé, dont la "Dernière pensée de Weber" fut le morceau final. La nuit étant claire, rien ne paraissant à craindre, le capitaine se décida à descendre dans sa cabine pour y prendre quelques heures de repos, mais après avoir donné l'ordre formel de le prévenir du moindre incident.
C'est à partir de ce moment que l'on ne sait plus d'une manière certaine ce qui s'est passé, ni même l'heure précise de la catastrophe. Toujours est-il qu'entre une heure et deux heures du matin, des ordres de manoeuvre étaient donnés, exécutés précipitamment, mais trop tard... La VILLE-DU-HAVRE éprouvait une commotion violenle, suivie d'une série de craquements formidables, se renversait à demi; passagers, officiers et matelots, réveilles en snisaul, et accourus sur le pont, apercevaient la masse il un grand voilier qui, ayant enfoncé les bordages du paquebot, laissait les débris de son étrave au milieu de celui-ci. Le navire abordant était le voilier en fer. le LOCH EARN (Lac ardent), capitaine Robertson.
Le capitaine Surmont s'était élancé sur la passerelle de commandement. D'un coup d'oeil il comprit que tout était perdu. La VILLE-DU-HAVRE portait au flanc de la chambre des machines une trouée large de cinq à six mètres, profonde de quatre, par laquelle l'eau s'engouffrait en cataractes bruyantes pour se répandre dans les profondeurs du bâtiment avec des grondements et des clapotements sinistres. On n'avait pas eu le temps de fermer les cloisons étanches, de telle sorte que les foyers ayant été éteints, chaudières et machines furent immédiatement paralysées.
Eperdus, les passagers se pressaient sur la dunette d'arrière, les uns à peine vêtus ou dans leur costume de nuit, les autres ayant eu le temps de se couvrir de quelques vêtements ou de prendre avec eux leurs objets les plus précieux. A un premier moment, non de désordre mais seulement de trouble, succéda un certain apaisement, quand on vit le capitaine a son poste et les officiers se multipliant pour indiquer à chacun ce qu'il y avait à faire. Dans le court espace de temps écoulé entre l'abordage et le naufrage, il y eut des exemples de sang-froid admirable, de sublime résignation, de devoir noblement compris. Debout sur le pont, un petit sac à la main, leurs enfants dans les bras ou se pressant contre leur père ou leur mari, les femmes attendaient que les canots fussent mis a la mer; quelques-unes s'étant agnouillées, priaient avec, ferveur, pendant qu'un prêtre catholique leur donnait l'absolution suprême; des enfants à demi-nus, devinant le péril sans le comprendre, cherchaient d'instinct un refuge dans les bras de leur mère.
Si la collision avait eu lieu en plein jour, les secours eussent été plus efficaces, mais la nuit d'une part, la perte de plusieurs des embarcations de la VILLE-DU-HAVRE de l'autre, rendaient le sauvetage difficile. On venait d'installer une cinquantaine de personnes dans deux canots intacts, lorsque le grand mât et le mât d'artimon, déjà ébranlés, oscillèrent et s'abattirenl presque en même temps, brisant les canots, tuant et blessant la plupart des malheureux qui déjà se voyaient sauvés. En vain, raconte un matelot, ou voulut retirer quelques survivants de l'amas enchevêtré de vergues rompues, de cordages, de débris de planches, il n'en eut pas le temps. Ce grave accident précipita le dénouement, car la chute des mâts fit incliner davantage le paquebot, et tous ceux qu'il portait sentirent que leur dernière heure était venue.
Il n'est guère possible de s'imaginer l'horreur du drame dont notre dessin donne un aperçu pris du milieu du navire, entre les deux cheminées, près de l'escalier de la dunette des premières.
La VILLE-DU-HAVRE oscillait comme en proie aux dernières convulsions. On vit, rapporte un passager, une jeune fille soutenant sa mère, et lui disant : "Courage, ma mère, courage, dans quelques minutes nous entrerons au ciel." Quatre charmantes petites filles encourageaient ceux qui les entouraient en en disant : "Prions le Bon Dieu de nous recevoir auprès de lui." Rien, raconte. M. Lorriaux, ministre protestant, ne peut donner une idée de la résignation des femmes pendant cette catastrophe. Un officier de la marine américaine avait trois filles qui voulaient périr avec lui : "Je sais, dit-il, en leur adressant le dernier adieu, que la Providence veut vous sauver, n'allez donc pas contre sa volonté". Deux seulement de ces jeunes filles furent recueillies.
Moins d'un quart-d'henre après le choc, la VILLE-DU-HAVRE disparaissait sous les flots, qui se précipitèrent en tourbillonnant dans l'immense vide formé et les malheureux renversés dans l'eau, ceux que la vague ramena à la surface, nu qui plus heureux avaient pu saisir une ceinture. de sauvetage, un tronçon de mal, une planche, restèrent ballotés par les vagues, transis, à moitié expirants, mais soutenus quelques instants encore par cette force surhumaine que donnent l'espoir et l'instinct de la conservation. La fatalité avait poursuivi le malheureux navire jusqu'à sa dernière minute d'existence. Au moment où il sombrait un canot chargé de femmes et d'enfants fut projeté par le remous sur le tronçon du mal d'artimon, crevé et submergé.
Le LOCH EARN avait pu se dégager aussitôt après l'abordage. Bien que fortement compromis par la perte de son avant, il se soutenait sur l'eau. Sans perdre un instant, son capitaine fit mettre ses embarcations à la mer et procéda an sauvetage. Les canots n'arrivèrent sur le lieu de la catastrophe qu'après la disparition complète de la VILLE-DU-HAVRE, ils recueillirent les naufragés et ne quittèrent la place que le lendemain matin à dix heures, quand nulle voix ne vint plus réclamer assistance, quand aucune victime ne parut surnager, quand enfin rien ne vint plus révéler que là, quelques heures auparavant, flottait l'un des rois de la mer. Demeuré à son poste, le capitaine Surmont coula avec son bâtiment, mais il eut le bonheur de saisir une planche, et vingt minutes après un canot le sauvait.
Les passagers et marins recueillis à bord du LOCH EARN étaient dépourvus de tout, la rapidié du sinistre n'ayant permis qu'à un tout petit nombre d'entre-eux de se munir des objets les plus les plus indispensables : ils furent, de la part du capitaine Robertson et de l'équipage anglais, l'objet d'une sollicitude des plus touchante, qu'ils se sont plu à reconnaître pudiquement. Mais quel triste lendemain ! Parmi ceux qui trouvaient sains et saufs, il y avait une jeune mère qui avait perdu ses quatre enfants. Une petite fille de neuf ans restée seule famille nombreuse, et quantité d'infortunés qui, en quleques minutes avaient vu mourrir sous leurs yeux, père, mère, frère, soeur, mari, amis... Parmi ces passagers, un, M. James Bishop, avait eu le bonheur d'être receuilli et c'était la troisiéme fois, disait-il, qu'il échappait à une mort imminente : il avail failli périr lors de la chute d'un train de chemin de fer dans une rivière et à la suite du sautage d'un navire par une torpille.
A dix heures du matin, un trois-mâts amérirain, le TRIMOUNTAIN (7), fut signalé. On lui adressa des signaux de détresse, et le capitaine Surmont, se rendant, aux instances des passagers, qui jugeaient le LOCH EARN trop emdommagé pour conserver un supplément de quatre-vingts à quatre-vingt-dix personnes, fit passer les survivants sur le navire américain, à l'exception d'un passager malade, d'un chauffeur blessé et d'un troisiéme passager qui voulut garder son compagnon d'infortune.
A qui imcombe la responsabilité de la catastrophe ? Une enquète nous l'apprendra sans doute, mais ce qui, suivant les témoignages déjà recueillis, parait acquis dès à présent, c'est que le LOCH EARN avait ses feux réglementaires allumés. Son capitaine aurait dit à un passager, qu'étonné de voir devant lui la silhouette d'un grand vapeur ne faisant aucun mouvement pour éviter une rencontre, il crut qu'un ou plusieurs de ses fanaux étaient éteints et qu'on ne l'apercevait pas: il courut à l'avant, s'assura qu'ils brillaient el fit manoeuvrer pour s'éloigner du navire, en vue.
Le Ville-du-Havre
Liste des victimes de l'équipage (Le Courrier de Bretagne , 6/12/1873)
1. Compagnie Générale Transatlantique : En 1855, les frères Péreire (Emile et Isaac) créent la Compagnie Générale Maritime à Granville. Les frères Péreire sont déjà propriétaires d'un organisme de crédit la Société Générale de Crédit Mobilier, cette société devient le principal actionnaire de la nouvelle compagnie, Adolphe d'Eichthal en est le premier président jusqu'en 1861. Les statuts de la compagnie lui donnent : pour buts toutes opérations de construction, d'armement et d'affrètement de tous navires et en général toutes opérations de commerce maritime.En 1860, la compagnie signe une convention postale avec l'État. Avec cette convention, la Compagnie Générale Maritime s'engage à desservir pendant 20 ans des lignes transatlantiques : Le Havre-New York (avec escale à Brest), Saint-Nazaire-Isthme de Panama et services annexes pour la Guadeloupe, le Mexique et Cayenne; à cette époque le transport de passagers et du courrier était réalisé par les mêmes navires. La compagnie s'engage de plus à construire la moitié de sa flotte en France. En contrepartie de ces engagements, l'État verse une subvention annuelle. La compagnie investit dans la construction navale à Saint-Nazaire.
2. En 1870, la compagnie changera également le nom de son autre paquebot lié à l'Empire, l'IMPERATRICE EUGENIE (c'est à son bord que l'impératrice du Mexique Charlotte rentre en Europe en juillet 1866) qui deviendra l'ATLANTIQUE.
3. LOCH EARN : Trois-mâts en fer, lancé le 20 octobre 1869 par le chantier Lawrie J.G. de Whiteinch (yard 47)
4. La Loch Line de Glasgow était un groupe armant des clippers qui appartenait à MM William Aitken et James Lilburn. Ensemble, ils ont exploité une ligne de navires à voile entre le Royaume-Uni et l'Australie entre 1867 et 1911.
5. Dans la chapelle Hippeau à Passy se trouve une plaque commémorant la mémoire de toute une famille, les Hammond (un couple et ses trois enfants de 14, 12 et 4 ans), qui trouvèrent la mort le 22 novembre 1873.
6. Anna Spafford, épouse de Horatio Spafford. Au dernier moment Horatio a été retenu par son entreprise d'immobilier. Anna Spafford et ses quatre filles sont parties Paris. Anna a été ramassée inconsciente, flottant sur une planche de bois, par l'équipage du Loch Earn, ses quatre filles ont disparu.
7. Trimountain : Trois-mats goélette, 1023 tx construit à Medford par J. T. Foster en 1850. Il appartient à J. H. Pearson de Boston. Il avait pour commandant le capitaine Fields.
8. Le Figaro : "J'ai parlé hier du nombre considérable de veuves et d'orphelins que laisse l'équipage du steamer naufragé. M. Félix Faure, adjoint au maire du Havre, estime ce nombre à cinq cents environ. Les enfants sont dans la proportion de trois cents, et certaines des malheureuses veuves en ont jusqu'à cinq et six. Presque toutes ces pauvres femmes ont pour tout moyen d'existence la pêche des crevettes ou des équilles, et s'en vont péniblement, à marée basse, sur la plage d'Honfleur ou de Trouville, poussant leurs filets devant elles ou fouillant, le sable de leurs fourches. Elles ont le désespoir dans l'âme, la tête pleine du souvenir de leurs morts. Leur imagination terrifiée leur représente l'effrayante scène du naufrage, le grand steamer sombrant dans la nuit; elles voient leur mari accroché à quelque épave, elles entendent ses derniers cris. N'importe, il faut pêcher pour nourrir les enfants qui ont faim, il faut demander le pain quotidien à cette mer qui a pris le père de famille. Il fait froid, le vent souffle, la nuit est glacée. Qu'est-ce que cela fait. C'est effroyable. A Paris on souffre moins. Jamais misère ne fut plus digne de toutes les pitiés. Si vous l'aviez touchée du doigt comme moi, si vous aviez assisté à ce spectacle déchirant de toutes ces malheureuses pleurant sur la place Louis XVI, puis tout à coup entendant l'horloge, qui sonne le moment du départ pour la pêche, et s'en allant avec leurs angoisses, si vous aviez vu cela, vous vous demanderiez déjà par quel moyen secourir ces infortunes. La Compagnie générale Transatlantique a fondé une caisse de secours, au moyen d'une retenue d'un pour cent, faite sur les appointements de tout son personnel. Grâce à cette caisse de secours, les veuves des marins naufragés recevront la pension réglementaire, qui est de trois cents francs par an pour les femmes des matelots, et de six cents francs pour celles des chauffeurs. Mais quand il y a trois, quatre, cinq enfants, qu'est-ce que cela, joint au maigre produit de la pêche ? La Compagnie l'a bien compris. Aussi les membres du conseil d'administration ont-ils ouvert entre eux une souscription qui va produire quelques milliers de francs. La municipalité du Havre en a fait une autre. De plus, M. Félix Faure, avec l'autorisation de M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, va s'adresser aux principaux artistes de l'Opéra, pour les prier d'organiser une représentation à bénéfice. Tous voudront s'y faire entendre, cela ne fait pas de doute. Cela ne sera pas encore assez. Il faut que toute la France apporte son tribut. Nos lecteurs peuvent adresser et adresseront, nous en sommes bien sûrs leurs dons à M. le maire du Havre. Le Figaro a déjà remis son offrande à M. Félix Faure. Une scène bien émouvante aura lieu au Havre ce matin, à dix heures. Toute la municipalité et le conseil d'administration de la Compagnie générale transatlantique recevront ce qui reste de l'équipage de la Ville-du- Havre. Les naufrages se sont embarqués cette nuit à Southampton où les a conduits M. Bocandé, agent de la Compagnie à Cardiff. Sur la jetée se tiendront les femmes, les enfants de ceux qui survivent, et il n'est pas difficile, hélas de deviner que les parents de ceux qui sont morts seront là aussi. Qui sait, se disent-ils sans doute, avec cette ténacité d'espérance qui a abandonné jamais l'homme qu'au dernier moment, qui sait si les listes ne sont pas inexactes, s'il ne va pas revenir? Et à mesure que l'heure approche, ils se cramponnent à cet espoir qui grandit malgré eux, qui va prendre au dernier moment les proportions d'une quasi-certitude. Puis, à dix heures, ils vont retomber du haut de leur illusion. Plusieurs passagers sont arrivés hier à Paris…"