Toile de Paul-Émile Pajot
Une tempête épouvantable s’est déchaînée sur les côtes de Vendée, dans la nuit du 27 au 28 janvier 1881. Elle a sévi avec une telle fureur que de nombreux bateaux de pêche ont été jetés à la côte. Sept chaloupes de pêche sont naufragées dans l’espace compris entre les rochers du Cayola et la Tour des Barges. Sur ces 7 chaloupes, cinq sont naufragées et ont perdu plus ou moins de personnes.
Enchiridion, échoué sur la plage, patron Anatole Gimard, des Sables, équipage sauvé
Jeune-Américaine, échouée sur la plage, patron Marie-Henri Guérineau, des Sables, équipage sauvé
Marie Pacifique N° 2, échouée sur la plage, patron Charles Chevrier des Sables, équipage sauvé
P. N., échouée aux Rochers-Rouges, patron Benjamin Grousset des Sables, 2 hommes sauvés, 4 noyés :
Jeune-Léopoldine, à la veuve Rabiller, échouée à Tanchet, patron Henri Clavier, de la Chaume, 4 hommes sauvés, 4 disparus :
Protégé-de-Dieu, des Sables, patron Saint-Preux Remaud, perdue corps et biens, près des Barges.
Refuge-des-Pêcheurs, patron Henri-André Ferret, des Sables, perdue corps et biens, au Cayola.
Marie-Pouliguen, perdue corps et biens aux Pierres-Noires (gouffre de Chaillé). On ne connaît ni le nom ni le nombre des marins qui composaient l’équipage du bateau Marie-Pouliguen
Notre-Dame-de-la-Garde, du port des Sables, patron Mary Charles, dit Cana, est arrivée hier dans le port, ayant perdu un homme :
L’Africaine, du port des Sables, patron Henri Chevalier, en relâche à la Flotte-en-Ré), a perdu 2 hommes :
En tout vingt-deux hommes ont disparu dans ce premier bilan.
Chaloupes de pêche des Sables d'Olonne, dessins de Paul-Émile Pajot |
Le 30 janvier, le canot de la chaloupe, Jeune-Ernestine, du port des Sables, patron et propriétaire Hippolyte Royer, de la Chaume, dont on n’avait aucune nouvelle, est arrivé seul à la côte, derrière la Chaume. Des épaves de cette même chaloupe ont été trouvées et recueillie au même endroit, ainsi que plusieurs objets servant à l’usage des marins de l’équipage.
La bouée de sauvetage a été trouvée aussi, mais très éloignée du point où les objets ci-dessus ont été recueillis, elle a été retrouvée au Cayola. En conséquence, aucun doute n'existe sur le sort malheureux de la Jeune-Ernestine; elle est bien perdue corps et biens.
Les parents de Paul-Émile Pajot |
Enfin le jour vint. Ils travaillèrent quelque temps à bord, puis le patron leur dit « Nous allons sortir, les enfants ! Sortons ! répondirent-ils !
Mais, pourtant, il y eu parmi l’équipage qui y allèrent à contrecœur. Ils savaient des pressentiments…
Hélas ! Ils ne se trompaient pas !
Ils partirent…. !
Et pourtant, ils avaient été prévenus par les officiers du port, tous ces malheureux marisn.
Il devait se déclarer une tempête, du 27 au 29 janvier 1881.
On était le 26. Les matelots disaient : « On aura peut-être le temps de donner un coup de drague, ou deux aussi, afin de soulager la famille, car il y avait une chaloupe, commandée par le patron Victor Jomeau, qui avait fait une bonne vente, et ils voulaient tâcher de faire comme elle.
Oh ! quelle nuit épouvantable… !
Quelle horrible tempête… !
Le vent était de la partie du Sud, quand ils sortirent et le temps était for menaçant.
La Jeune-Ernestine était la première. Soixante ou quatre vingt chaloupes suivaient.
De gros nuages noirs roulaient à l’horizon. Les mouettes rasaient les vagues, sentant l’approche de la tempête.
Vers le milieu de la nuit, le vent souffla avec violence.
Les dernières chaloupes sorties, rentraient au port, mais les autres étaient rendus loin.
Beaucoup d’entre-elles avaient déjà jeté leur filet dehors.
Oh ! Combien devaient-ils en avoir du regret.
Le vent redoublait La pluie tombait à torrents. Par moment la grêle faisait rage. Puis pour ajouter à ce bruit épouvantable, l’orage se mit à gronder avec fureur.
Oh ! Cette nuit je ne l’oublierai jamais.
Ma mère s’était levée de bonne heure, et était descendue sur le quai, avec des voisines, malgré la tempête.
Vers le point du jour, je me levai à mon tour, je m’habillai vivement et rassurai mes sœurs, qui pleuraient de peur de l’orage. Je les réconfortai par de bonnes paroles, et finis par les consoler un peu.
Puis je courus sur le quai, à mon tour quant elles eurent déjeuné.
Oh ! Quel horrible spectacle s’offrit à ma vue.
Sur la plage, six chaloupes, gisaient, échouées, brisées !
Où étaient les équipages ?
Plus loin, sur la côte, se voyait d’autres débris de toutes sortes : voiles en lambeaux, avirons, mâts, couvertures, bottes, vêtements cirés, cadavres. Tout était là, pêle-mêle, dans un chaos indescriptible.
Ah ! La main divine s’était par trop appesantie sur ces pauvres infortunés, morts en victimes du devoir, en héros du travail. Quel désespoir, pour toutes ses pauvres femmes. Quels cris déchirants, quand l’une reconnaissait son mari, l’autre son père, celle-là, son frère.
La plupart de ces martyrs était en lambeaux. La mer, dans sa violence, les avait si brutalement jetés sur les roches, qu’ils étaient méconnaissables.
Quels sanglots s’échappèrent de ma poitrine, lorsque ma mère, en me serrant contre-elle m’apprît que nous étions orphelins. Mon père n’était plus.
Quelles souffrances, pour toutes ces créatures, qui perdaient un père, un frère, un époux, leur protecteur, leur soutien, leur ami !...
Nous tombâmes dans une profonde misère, car ma mère tomba gravement malade. Par malheur, elle était prête à mettre mon frère Daniel, au monde. Nous faillîmes la perdre. Mais Dieu ne le voulut pas."
Paul-Emile Pajot, Le Journal Vol I
Le rôle d'équipage de la chaloupe Inconnue n°2, appartenant à Rabiller, pilote à la Chaume (port des Sables), a été trouvé dans les parages de Vannes (Morbihan). C’est encore une preuve de la perte de cette embarcation, dont on n’avait encore reçu aucune nouvelle.
Chaloupe Notre-Dame-de-Bonne-Espérance : perdue corps et biens.
Chaloupe Henriette-Emilienne : perdue corps et biens.
Je ne suis qu’une veuve, une mère, |
Nous étions là, deux cents, deux cents femmes du port, |
Paul-Émile Pajot, célèbre artiste peintre, est né en 1873 dans le quartier maritime des Sables-d’Olonne : La Chaume. Il devient marin-pêcheur à l’âge de 11 ans pour subvenir aux besoins de sa famille. Toute sa vie, il n’aura de cesse de représenter dans ses tableaux et ses aquarelles le milieu de la pêche. Entre 1900 et 1922, il écrit un manuscrit de cinq tomes qu’il tient comme un journal : Mes aventures. Dans cette œuvre considérable, il y raconte ses mémoires personnelles. En 1925, la peinture naïve de Paul-Émile Pajot connait son heure de gloire lors d’une exposition parisienne à la galerie Pierre. En préface à cette exposition, l’écrivain et poète Jean Cocteau l’honorera en écrivant: « Il est un homme qui peint des bateaux. Il ne peint pas des bateaux pour les gens qui aiment la peinture, mais il est un peintre pour les gens qui aiment les bateaux » Il meurt en 1929 et laisse à travers ses œuvres, un incroyable témoignage du milieu maritime. Depuis 1992, l’école primaire publique de La Chaume porte son nom.