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Date de mise à jour : 01/05/2024 (44 nouvelles épaves, 38 mises à jour, 41 nouvelles photos et images)

TELEMAQUE - QUINTANADOINE

Quillebeuf
8 janvier 1790

Télémaque
A. D. 76 (7 P6, F° 9)

Caractéristiques

Télémaque ou Thélémaque, brigantin de 80 pieds et 120 tonneaux, construit en 1772 à Val-de-la-Haye par le chantier des frères Thibaut. Il est armé au cabotage à Rouen par les sieurs Queval & Guillaume. (Télémaque est le fils d'Ulysse, roi de l'île grecque d'Ithaque, et de Pénélope. Télémaque est encore un tout jeune enfant quand son père Ulysse part pour la guerre de Troie.) Le 18 novembre 1789, Jean-Vincent Le Canu, négociant déclare à l'Amirauté, avoir fait radouber, tant pour lui que pour ses associés, le Télémaque, qui s'appellera désormais le Quintanadoine, du nom d'une famille d'armateurs rouennais.

L'équipage aurait été le même que celui du désarmement de 1789 : (A. D. 76 (7 P6, F° 9)

role d'équipage

 

Le naufrage

Epave du Télémaque
Epave échouée du Télémaque(Journal de Rouen 6 Avril 1940)

A Rouen, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, on cercle et ferme des tonneaux qu'un maître roulier approche du Télémaque. Le navire doit livrer à Brest du suif et des clous. On raconte qu'à bord, il y a une enveloppe à n'ouvrir qu' après avoir passé le cap de la Hève. Le capitaine aura une prime de 500 livres s'il réussit.
Le 2 janvier, le navire doit s'arrêter à Quillebeuf pour éviter le mascaret. Le capitaine Adrien Quemin amarre solidement au port ce brick de 26 m de long et 7 m de large mais dans la nuit la déferlante est si violente que le capitaine Quemin a à peine le temps de mettre les chaloupes à l'eau et d'évacuer son équipage de sept hommes. Le brick, emporté à 100m du quai sur un banc de sable, disparaît avec son chargement. Dans le naufrage disparaît le mousse.

 

mascaret à Quillebeuf
Mascaret à Quillebeuf

Le trésor du Télémaque

Le bâtiment a coulé avec, selon une légende tenace, un fabuleux trésor de la Couronne de France. Le capitaine Quemin mourut un 1836, à 82 ans, emportant dans la tombe le secret.
Dans la cale, il y aurait eu des biens ecclésiastiques appartenant aux abbayes de Jumièges et Saint-Martin de Boscherville, à des abbés, à un cardinal de Rouen, deux millions cinq cent mille francs en louis (fortune d'une trentaines d'émigrés et de quelques abbés).
Officiellement le bateau n'avait en cale que du suif, des clous,du bois et de l'huile pour le compte du Roi. On dit que Louis XVIII , frère du roi guillotiné, aurait souhaité renflouer le navire en 1818. En 1837, le sieur de Magny a tenté de remonté l'épave sans succès.

 

La tentative de Taylor 1841-1843

En 1841, un Anglais nommé Taylor accompagné d'une dizaine d'ouvriers, effectue des sondages. Il clame que l'épave contient un fabuleux trésor et s'attire ainsi des nombreux investisseurs.

Epave du Télémaque
Journal de Rouen (jeudi 21 juillet 1842)

Les travaux tournent vite au fiasco et Tylor s'enfuit, criblé de dettes : "La société Taylor et Cie, pour le sauvetage du Télémaque, est en faillite ; on s’occupe en ce moment de retirer les bois de l’échafaudage et de lever les ancres ; mais la rade s’est tellement remplie de sable qu’il sera impossible de les avoir, et l’on sera obligé de les laisser couler avec des bouées sur les bouts de chaîne. Maintenant, il ne reste plus que 2 mètres d’eau autour du Télémaque, de basse mer, et, avant, il y en avait près de 5 mètres". (Journal de Rouen,lundi 16 janvier 1843).

L'échec ne décourage pas d'autres tentatives : "Malgré les nombreuses tribulations de toutes les compagnies qui ont entrepris le sauvetage du Télémaque, les trésors apocryphes ou réels que renferme le vieux Ship ensablé continuent à tenter les spéculateurs. Un entrepreneur a-t-il fait fiasco, vite un autre se présente. M. Taylor est dans les fers......il est aussitôt remplacé par d'autres ingénieurs. C'est le tour de MM. Edouard et Dean. Les opérations sont commencées. Ces messieurs ont déjà plongé sur le Télémaque. Ils ont sauvé plusieurs harpons et outils qui étaient tombés l'année dernière, une plaque de plomb, quelques pièces de bois. Ils restent d'une heure à une heure et demie sous l'eau." Journal de Rouen (lundi 26 juin 1843)

"On écrit de Quillebeuf au Progressif Cauchois : On continue le sauvetage du bois du Télémaque. La nouvelle société a sauvé quarante-deux pièces, plus la marmite de l'équipage, et trois barils dans lesquels il y avait du suif, et qui portent un» odeur infecte. C'étaient ces barils sur lesquels on fondait l'espoir des trésors. Il ne sort pas de l'eau une seule pièce de bois qu'on ne la sonde pour voir si elle n'est pas creuse , ou pour voir s'il n'y a pas quelque pièce rapportée pour cacher les diamants. Sous peu de jours, la cargaison sera à terre, et on retirera le reste de la coque. M. Taylor a présenté une requête au tribunal pour avoir un sauf-conduit , et va sortir dans quelques jours de prison." Journal de Rouen (mardi 1 août 1843)

Face à ses tentatives, il ne reste que de nombreux débris : "On lit dans le Journal du Havre : "Nous en demandons mille pardons à nos lecteurs, mais nous n'en avons pas encore fini avec les mésaventures du Télémaque, et l'odyssée de ce vaisseau-fantôme, qui revient périodiquement des profondeurs de l'abîme pour y entraîner ses victimes, semble méditer de nouveaux chapitres. Les trésors que renfermait la nef mystérieuse se sont évanouis. Bien ! A deux fois crédules, les actionnaires y ont perdu leur argent et les ingénieurs leur latin. Très-bien ! Le corps du délit lui-même a disparu comme une ombre, ne laissant d'autres traces de sa présence que les souvenirs d'une mystification infiniment trop prolongée. De mieux en mieux ! Qui ne croirait dès-lors la pièce terminée? Eh bien ! Il n'en est rien, et, si l'on n'y prend garde, la comédie qui, pendant deux ans, vient d'occuper le public et la Seine, pourrait bien avoir une suite qui ne prêterait nullement à rire.
On sait que, pour les derniers efforts qui ont amené la découverte de la vérité, cachée sous l'eau dans les flancs du Télémaque , on a construit sur le lieu de l'échouage une forte charpente de pieux solidement enfoncés, et retenus au fond par des chaînes en fer.

relevage Télémaque
relevage Télémaque
Dispositif de relevage conçu à l'époque (London Illustrated News 1842)

Cet échafaudage, qui forme un écueil redoutable pour les bâtiments qui fréquentent la rivière, et rend plus dangereux encore le périlleux passage de Quillebeuf, est resté en place, et, par suite de la liquidation de la dernière société, personne ne s'occupe d'en débarrasser le fleuve. Occupant une surface d'environ douze mètres carrés, cet écueil s'élève au-dessus de l'eau d'un mètre à mer pleine et de trois mètres à marée basse, et il est indubitable qu'un navire qui l'aborderait par les brumes de cette saison serait immédiatement roulé et chaviré par les violents courants qui passent à cet endroit. (Journal de Rouen, mercredi 15 novembre 1843).
Le Télémaque restera dan son berceau jusqu'à la seconde guerre mondiale.

Le relevage d'Avril 1940

Le 20 mai 1938, l'administration des Domaines octroie à André Crestois, le droit de renflouer le Télémaque. Il s'associe les services d'un ingénieur-conseil, Théodore Laffite, sous l'enseigne de la Société française d'entreprise maritime.

Le relèvement de l'épave présumée du Télémaque tenté par la Société française d'entreprises maritimes et de constructions navales, dont le siège est à Paris, 5, avenue de l'Opéra, a été finalement mené à bien.
Au petit jour, le scaphandrier Cabioch a vérifié une dernière fois le système d'élingues retenant l'épave, et vers 9 heures, soulevées par le flot, les allèges ont rapproché celle-ci de la digue de Quillebeuf jusqu'à ce qu'elle échoue au bord même du perré. Alors, les élingues ont été amenées à quai où elles ont été solidement amarrées afin que les restes de la vieille coque ne soient pas entraînés par la mer descendante.
Puis on éloigna les allèges pour qu'elles n'écrasent pas l'épave en échouant sur elle à marée basse. Et l'on attendit les événements...
Vers 13 heures, les eaux du fleuve découvrirent peu à peu la vieillie carcasse. Les poutres qui soutenaient le pont apparurent les premières, plantées à la verticale dans la vase, puis l'entrepont distant de 1 m. 70 environ, et la membrure tribord. L'étrave, ou du moins ce qu'il en reste, émergea ensuite, pointée vers Rouen et tout entourée de filins et de chaînes. Enfin, la mer délaissant complètement sa proie fit surgir par endroits le bordage tribord enfoncé dans un amoncellement de pierrailles et de vase, "lestant", en quelque sorte, le vaisseau fantôme. Il était 14 h. 30 environ.
Mais les frères Cabioch - car il y a deux Cabioch, Benjamin qui commande, et René qui plonge - n'avaient pas attendu ce moment pour faire l'inventaire du contenu de la coque. Dès que la mer avait découvert le monceau de pierrailles, ils avaient entrepris des recherches. Une dizaine d'hommes devaient plus tard se joindre à eux.
Après une heure et demie d'efforts, durant laquelle de profonds et nombreux sondages furent pratiqués à la pelle, à la fourche et à la pioche, aucun objet précieux ou même intéressant n'avait été découvert, ni aucun indice permettant de croire que la coque en contenait, comme s'ils avaient tous été glanés, une fois pour toutes, par le scaphandrier Cabioch, au cours de ses précédentes recherches sous-marines, pour être exposés au petit musée de Quillebeuf.
L'esquif chargé de transborder es déblais sur le ponton voisin ne rapportait que des morceaux de bordage et un nombre étonnant de douves de tonnelets - ces fameux ; tonnelets qui, selon la légende, devaient cacher un trésor fabuleux.
Les travaux de déblaiement de l'épave ne furent pas abandonnés pour cela, et tant que la hauteur d'eau le permit, ils furent poursuivis avec une activité qui ne se démentit pas, mais sans plus de succès. Les fouilles ne mirent à jour que des apparaux : ancres, chaînes, poulies, etc...
Et il fallut se rendre à cette évidence : l'épave ramenée au rivage ne contenait aucun trésor.
On poursuivra néanmoins les recherches aujourd'hui, car on ne s'explique pas comment les objets que devait renfermer la carcasse ont pu disparaître.
On fouillera de nouveau le caillebotis et les cailloux qui emplissent la coque. On continuera enfin à draguer et à rechercher avec le scaphandrier, aux endroits où était le bateau
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Aux côtés de breloques, de quantités de boucles de chaussures, divers objets sont nettement plus intéressants : des crucifix, des cachets divers à fleur de lys, des clés de montre. Et puis, le 3 septembre, une superbe chaîne en or est mise au jour. Un expert est formel: elle servait à porter la croix pectorale d'un évêque...

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Epave du Télémaque
Epave du Télémaque(Journal de Rouen 6 Avril 1940)

La légende du Télémaque semble donc avoir vécu, mais l'épave dont on vient de tant parler est-elile bien celle du navire qui chavira au droit de Quillebeuf le 3 janvier 1790 ? Ou plutôt est-ce bien un fragment de cette épave, car la carcasse relevée ne mesure guère plus des deux tiers de la longueur que devait avoir le vaisseau quand il sombra. Nous avons posé la question hier à M. Crestois, directeur des travaux, qui nous a répondu qu'il continuait de le croire, plusieurs constatations, à défaut de documents précis, étant venus étayer cette thèse. Indiquons-en au moins une, les autres ayant été plusieurs fois citées dans ce journal : l'épave relevée est sûrement celle que l'on tenta de renflouer, il y a tout juste cent ans, alors que M. Quemin, le dernier capitaine du vaisseau disparu vivait encore, épave qui eut son gaillard arrière fortement abîmé, sinon coupé par un brick anglais descendant de Rouen. Et cette épave, selon des témoins du naufrage, était bien celle du Télémaque.

 

Sources

Historama (numéro 245 du 01/04/1972) ; Répertoire des naufrages au large du Cotentin - 1687 à 2000, par Henri Yon ; A. D. 76 (7 P6, F° 9) ; London Illustrated News ; Journal de Rouen (jeudi 21 juillet 1842 - lundi 16 janvier 1843 - lundi 5 juin 1843 -lundi 26 juin 1843 - mardi 1 août 1843 - mercredi 15 novembre 1843 - 6 Avril 1940 (Cote : BMR 260_5) ;