S/S Sussex
S/S SUSSEX, navire à passagers n° officiel 105651, lancé le 30 avril 1886 par le chantier William Denny & Brothers à Dumbarton, yard n°530, pour la London Brighton & South Coast Railway Co, Londres, n° officiel en remplacement de l'infortuné SEAFORD.
C'est un navire de 1353 tonnes brut et de 517 tonnes net. Il mesure 275 pieds de long, un maître baud de 34.1 pieds et un creux de 14 pieds. Il est propulsé par deux moteurs triple expension de 4 cylindres (2x 23.5", 2 x 35.5" & 4 x 37.5"-27") de 292 nhp, actionnant deux hélices et fabriqués par le chantier. Sa vitesse de croisière est de 20,5 noeuds.
Il a assure le service de la ligne Newhaven-Dieppe jusqu'à son remplacement par le SS PARIS début 1913. Il a alors été transféré sous pavillon français et exploité avec un équipage français par l'Administration des Chemins de Fer de l'Etat.
Au début de la guerre, le SUSSEX a été réquisitionné pour servir de transport de troupes, mais il a été finalement remis en service civil avec un équipage français en 1915. Il assurait le service entre Folkestone et Dieppe.
Le 24 mars 1916, il effectue la traversée de Folkestone à Dieppe. Alors qu'il est cap au sud, il se fait torpiller sans sommation par le sous-marin UB 29. L'attaque fera 6 victimes parmi l'équipage et plus de 50 victimes chez les passagers.
"Je jure de dire la vérité. Le Sussex, que je commande, est exclusivement affecté au service des voyageurs et à celui de la poste. Il n'a jamais été armé.
Le 24 mars, il est parti de Folkestone à 13 h. 25, avec cinquante-trois hommes d'équipage et un nombre de passagers que je ne puis préciser d'une façon rigoureuse, car, en dehors des trois cent vingt-cinq qui m'avaient été signalés au départ du train de Londres, il y en avait certainement encore qui avaient séjourné à Folkestone ou qui étaient arrivés par d'autres voies, et la catastrophe a empêché le commis du bord d'achever le contrôle.
A 1h h. 50, j'étais sur ma passerelle, à environ vingt et un milles de la côte française, vers laquelle nous nous dirigions, quand j'ai aperçu, à cent cinquante mètres environ du navire, par bâbord avant, le sillage d'une torpille. Mes deux officiers l'ont vu comme moi. Immédiatement j'ai commandé: « La barre, tribord toute; stoppez la machine tribord. Et puis, pour activer l'évolution, j'ai mis la machine en arrière à toute vitesse. Dix secondes après, une explosion formidable se produisit à l'avant, et je fus projeté de bâbord à tribord sur la passerelle.
M'étant relevé et m'étant rendu compte que l'avant de mon navire était sectionné, j'ai pris en toute hâte les dispositions nécessaires pour assurer le sauvetage. Heureusement, la troisième cloison étanche avait résisté, et le bâtiment a continué à flotter. Malgré tout ce que nous avons pu faire et dire pour empêcher la panique, les passagers se sont affolés et se sont précipités dans les chaloupes. Deux de ces embarcations ont chaviré.
Six hommes d'équipage, dont le chef mécanicien, qui se trouvaient à l'avant du bateau, ont été emportés avec la partie arrachée par l'explosion, qui a également tué beaucoup de voyageurs dans la salle à manger et dans le dortoir de première classe des hommes. Il y a eu aussi de nombreux blessés, parmi lesquels mon second et mon maître d'équipage. J'ai été moi-même atteint à la tête, au bras gauche et au genou droit.
Après avoir fait réparer mes appareils de télégraphie sans fil et avoir envoyé des appels. J'ai autorisé neuf de mes hommes à se rendre sur une baleinière jusqu'au bateau-feu du Colbart, à environ sept milles. Enfin, à 22 h. 40, est arrivé à notre secours le chalutier Marie-Thérèse. Il a embarqué une partie de mes passagers. Le surplus a été recueilli par un contre-torpilleur anglais. Pour moi, je suis resté à mon bord avec quelques hommes d'équipage, et le navire a été remorqué jusqu'à Boulogne.
J'ai appris, par les hommes qui s'étaient rendus au Colbart sur la baleinière, qu'au moment où le contre-torpilleur anglais stoppait pour les recueillir, une nouvelle torpille avait été lancée sur ce navire et ne l'avait manqué que de peu.
Des éclats de la torpille qui a atteint le Sussex ont été ramassés dans les différentes parties du bateau. J'en ai remis un au commandant du front de mer, M. de Balincourt. Il a reconnu qu'il provenait d'un engin allemand."
Après Iecture, le témoin a signé avec nous.
La partie arrière du Sussex
" Le 24 mars dernier, je me trouvais, avec M. Marshall et plusieurs autres personnes, dans le fumoir du Sussex, quand, tout à coup, j'ai nettement senti que le navire changeait brusquement d'allure et semblait virer en ralentissant. Je me suis dit : « Qu'est-ce qu'il y a donc ? » et j'ai fait un mouvement pour me lever; mais aussitôt, une explosion épouvantable s'est produite, et j'ai vu qu'un monsieur, qui était assis près de moi, était lancé au plafond, puis retombait sans connaissance. Je suis alors monté sur le pont et je me suis offert pour ramer sur un des canots de sauvetage. Tandis que je descendais dans une des embarcations, celle-ci a chaviré, et je suis remonté à bord du Sussex par une corde. Je me suis ensuite embarqué dans un autre canot et j'y suis resté pendant deux heures, au bout desquelles nous sommes revenus auprès du paquebot pour demander des couvertures, parce qu'il faisait très froid. En approchant du devant du Sussex, j'ai manifesté au matelot qui ramait avec moi la crainte de rencontrer des mines. II m'a répondu qu'il n'y avait aucun danger, que ce n'était pas une mine qui avait explosé, mais bien une torpille, et que le capitaine avait vu le sillage de cet engin à cent ou cent cinquante mètres de nous. Il a ajouté qu'étant à la barre, il avait reçu l'ordre de virer immédiatement. Je suis rentré à Douvres à bord d'un contre-torpilleur anglais, après avoir aidé au transport des blessés."
"Le 24 mars dernier, me trouvant dans le fumoir du Sussex, je me suis, à un certain moment, rendu compte que le navire faisait un mouvement très sensible, comme pour virer.
Presque aussitôt, une explosion violente se produisit; je fus brusquement soulevé, tandis qu'un monsieur qui était en face de moi était projeté au plafond et retombait sur la tête. Je crois que cette personne a été tuée. J'ai été et je reste absolument indigné. de l'attentat dont le Sussex. a été victime.
Le bateau a été torpillé. Je n'ai à cet égard aucun doute. D'ailleurs un officier de la marine anglaise, qui était à bord avec nous, m'a montré un éclat qu'il tenait entre ses mains, et m'a déclaré que c'était un morceau de torpille ramassé à l'avant du paquebot.
Postérieurement, le capitaine Hall, de l'Amirauté britannique, m'a dit qu'il m'autorisait à faire savoir par les journaux que des morceaux d'engin trouvés sur le Sussex provenaient indiscutablement d'une torpille allemande." Après lecture en langue anglaise, le témoin a signé avec nous et avec l'interprète.
"Je jure de dire la vérité. Quand s'est produite la catastrophe du Sussex, je me trouvais sur le pont, à l'entrée des cabines de luxe, et j'étais en train de lire. Au moment de l'explosion, j'ai vu s'engloutir l'avant du bateau. J'ai remarqué alors que notre vitesse était extrêmement minime, ce qui ne peut s'expliquer que par un ordre donné de ralentir. Je n'ai vu ni la torpille, ni son sillage, mais j'ai la confiance la plus absolue dans les déclarations qui ont été faites par le capitaine, dont l'attitude, pendant toute la traversée, m'a produit une impression en tous points favorable. Je suis descendu immédiatement dans la salle à manger, où je me suis trouvé devant une baie énorme, ouverte sur la mer.
J'ai pris dans mes bras, pour le dégager, un malheureux qui était pendu par les pieds dans la déchirure du plafond, mais il est mort à l'instant même. Dans le dortoir des premières, qui était au dessous, j'ai entendu des appels; je me suis rendu à la porte de cette pièce et j'ai aidé six ou sept personnes à sortir des décombres. Je suis ensuite remonté sur le pont, où j'ai de mon mieux donné des soins à neuf passagers plus ou moins grièvement blessés". Apres lecture, le témoin a signé avec nous.
"Je jure de dire la vérité. Quand s'est produite, le 24 mars dernier, la catastrophe du Sussex, je dormais, étendu sur une banquette, dans la salle à manger des premières; ma femme était assise à mes côtés. Je ne me suis rendu compte de rien, étant passé du sommeil à l'évanouissement. J'ai été rappelé au sentiment de moi-même par une douloureuse sensation d'écrasement, et j'ai aussitôt appelé ma femme. A ce moment, j'ai entendu une voix me répondre : «Nous allons vous dégager », et dire ensuite « Tirons-le par les pieds ». J’ai su depuis que la personne qui m'avait ainsi répondu et qui m'avait porté secours, était le garçon de restaurant Eugène Rault. Transporté sur le pont, comme je m'inquiétais de Mme Desrousseaux, j'ai été conduit à l'avant du bateau, où elle gisait inanimée. Elle portait une blessure à la tête et avait les deux jambes broyées. La mort avait dû être instantanée. Je tiens à rendre hommage, non seulement au dévouement du garçon de salle Eugène Rault, mais aussi à l'attitude irréprochable de l’équipage entier. Les passagers ont été réconfortés, soignés et rassurés par le personnel du bord, ce qui d'ailleurs ne m'a pas surpris, car j'avais fait antérieurement plusieurs traversées sur le Sussex et j'avais pu apprécier à leur valeur le capitaine ainsi que ses hommes. Je suis resté cinq jours à l'hôpital anglais de Wimereux, neuf jours dans la clinique du docteur Houzel, à Boulogne, et actuellement encore, je suis loin d'être rétabli." Après lecture, le témoin a signé avec nous.
Les passagers sur le pont dans l'attente des secours |
GOODBODY Manliffe |
GRANADOS Enrique |
Rapport de M. le contre-amiral A. GRASSET, sous-chef d état-major général, à Monsieur le vice-amiral, chef d'état-major général :
Plusieurs passagers américains sont blessés, mais aucun n'est tué. Malgré ce fait, l'opinion publique américaine est fortement choquée, provoquant des échanges tendus entre les gouvernements américains et allemands. Ce torpillage survenant après celui du Lusitania allait entrainer de sérieuses tensions entre les USA et l’Empire Allemand, poussant le kaiser à reconsidérer pour un temps sa politique en matière de guerre sous-marine.
L'Allemagne fait la "promesse du Sussex" (3), qui promet la suspension de sa guerre sous-marine à outrance, et des attaques de ses U-Boote contre les navires transportant des civils.
Cette promesse ne sera jamais tenue !
1. Enrique Granados : Le Pianiste Enrique Granados, étudie à Barcelone sous la direction de Francisco Jurnet et de Joan Batista Pujo. Granados obtient le premier prix de piano au Conservatoire de Barcelone en 1883. Il étudiera également la composition avec Felipe Pedrell, avant de quitter l'Espagne en 1887 pour se rendre à Paris où il suit les cours de Charles Wilfrid de Bériot. C'est là qu'il rencontre la dernière génération de compositeurs français : Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel, Paul Dukas, Vincent d'Indy, Camille Saint-Saëns. Il revient s'installer à Barcelone en 1889 pour y entamer une brillante carrière d'interprète et de compositeur. Son premier opéra, Maria del Carmen, lui vaut en 1898 une consécration royale. En 1901, il fonde l'Academia Granados. Granados se consacre dès cette date à l'enseignement du piano et de l'interprétation pianistique. S'il poursuit parallèlement sa carrière de compositeur, il ne reviendra en tant que tel sur le devant de la scène qu'en 1911, à la faveur des premières auditions de sa suite pour piano Goyescas. Le titre de l'œuvre qui assura sa notoriété est un hommage au peintre Francisco de Goya, pour qui Granados éprouvait une vive admiration. En 1916, il effectue un voyage à New York pour assister à la première américaine de son opéra Goyescas, inspiré de la suite du même nom. Les représentations sont un succès. Le 24 mars 1916, sur le chemin du retour, il embarque avec sa femme à bord du Sussex. Il a rencontré là-bas un énorme succès. Il écrit : "Enfin, j'ai vu mon rêve réalisé... Il est vrai que ma tête est pleine de cheveux blancs, et que je commence à peine mon œuvre, mais j'ai confiance et je travaille avec enthousiasme...Toute ma joie actuelle, je la ressens plus pour ce qui doit venir que pour ce que j'ai fait jusqu'ici. Je songe à Paris et je nourris un monde de projets."
Quand le navire est torpillé par un sous-marin allemand, il réussit à rejoindre un canot de sauvetage mais, apercevant sa femme qui se noyait, il sauta à à la mer. Tous deux se noyèrent.
2. Herbert Pustkuchen : Né le 28 décembre 1889, mort le 12 juin 1917 dans la Manche. Commandant de l'UC 5 (19 juin 1915 -18 décembre 1915), de l'UB 29 (18 janvier 1916 - 2 novembre 1916) puis de l'UC 66 (18 novembre 1916 - 12 juin 1917). 82 navires coulés avec un total de 106 394 tonnes, trois navires de guerre coulés avec un total de 2880 tonnes, 12 navires endommagés avec un total de 39 793 tonnes de jauge brute 1 navire endommagé avec un total de 3750 tonnes. 19 septembre 1912 Lieutnant zur Voir et le 2 mai 1915 Zur Oberleutnant. Décorations Croix de fer 2ème classe, Croix de fer 1ère classe et le 19 novembre 1915 Royale Ordre de Hohenzollern.
La torpille a été tirée par le sous-marin UB 29 (Oberleutnant zur See Herbert Pustkuchen) dont voici le rapport : "15h40 Vent NNE, grande visibilité, aperçu un bâtiment portant deux grands mâts. 15h41 Plongée. Le bâtiment ressemble à un paquebot de la Manche mais il n'a qu'une cheminée et un pont spécial analogue à celui d'un navire de guerre. Comme il ne suit pas la route prescrite aux navires de commerce par l'Amirauté britannique (en dehors des bouées 8 et 9), il ne peut être un paquebot. Etant donné son arrière étrange, je le prends pour un mouilleur de mines. Il ne porte aucun pavillon et est uniformément peint en noir. 15h55 Lancé. Au bout de 69 secondes, grosse explosion. Distance 1300 m. Tout l'avant du navire jusqu'à la passerelle est mis en pièces. Le pont est plein de monde, c'est un transport. Disparition non observée, je m'éloigne en plongée."
3. SussexPledge : President Wilson addressed the Congress in April and issued an ultimatum to the Germans :
- End the attack on unarmed ships or risk the severing of diplomatic relations. Germany responded to Wilson's demands on May 4 with what is called the "SussexPledge." German submarine policy would henceforth be governed by promises to :
- end the sinking of passenger ships
- search merchant ships for contraband and make provisions for passengers and crews before sinking merchant ships The German guarantees were generally honored until the announcement of the resumption of unrestricted submarine warfare in February 1917