Le Pourquoi Pas ? IV est le quatrième navire baptisé Pourquoi Pas ? par le commandant Jean-Baptiste Charcot. Construit à Saint-Malo sur les plans de François Gautier, c'est un navire destiné aux explorations polaires de 57 m hors-tout gréé en trois-mâts barque. Ses dimensions sont de 42.58 x 9.49 x 4.08. Il est équipé d'un moteur compound deux cylindres fabriqué à Nantes par De la Brosse & Fouché d'une puissance de 500 CV. Le navire comporte trois laboratoires et une bibliothèque. Il jauge 449 tx et embarque 34 hommes d'équipage et 4 ou 5 scientifiques.
En 1908, Charcot part avec le Pourquoi Pas ? IV hiverner sur l’île Petermann pour sa deuxième expédition polaire. Lors de cette expédition, plusieurs membres de l'équipage dont Charcot sont atteints du scorbut2. L'expédition est de retour en France en juin 1910 après un nouvel hivernage riche sur le plan scientifique. Le tracé de la terre Alexandre est accompli et une nouvelle terre est découverte, la terre de Charcot.
En 1912, le Pourquoi Pas ? devient le premier navire-école de la marine française. À cette occasion sa coque sera repeinte en noir. Elle redeviendra blanche à partir de 1918 car Charcot effectue de nouveau, avec le Pourquoi Pas ?, des missions scientifiques en Atlantique nord, en Manche, en Méditerranée et aux îles Féroé, principalement pour des études de lithologie et de géologie sous-marine au moyen de dragages, dont Charcot a mis au point le matériel et les méthodes.
À partir de 1925, atteint par la limite d'âge, Charcot perd le commandement du navire, mais demeure à bord en qualité de chef des missions. Le navire, commandé par l'officier des équipages Le Conniat, effectue de multiples navigations vers les glaces de l'Arctique. Le peintre Marin-Marie embarque en 1925 et participe à deux campagnes dans l'Arctique d'où il rapporte de nombreux croquis et dessins3. En 1926, Charcot avec le Pourquoi Pas ? explore la côte orientale du Groenland et ramène une abondante récolte de fossiles et de nombreux échantillons d'insectes et de flore.
En 1934, Charcot avec le Pourquoi Pas ? IV installe au Groenland la mission ethnographique dirigée par Paul-Émile Victor, qui séjourne pendant un an à Angmagsalik pour vivre au milieu d'une population eskimo. En 1935, Charcot avec le Pourquoi Pas ? IV revient chercher Victor et ses trois compagnons (Gessain, Pérez et Matter) et poursuit l'établissement de la cartographie de ces régions.
Le Pourqoui-Pas ? IV |
Ouest-Eclair (18 septembre 1936)
Maître timononier GONIDEC à Monsieur le Capitaine de Frégate MARZIN, commandant l'Audacieux, Reykjavick, le 21 septembre 1936
Le 15 Septembre: 2 météos nous parviennent: Angleterre et Islande. 13 heures appareillage de REYKJAVICK, mer très belle, vent nul. Entre 14 et 16 heures le loch accuse 15 milles 5. Quart de 16 à 18 heures. Faisons route pour doubler SKAGI, la pluie commence à tomber, temps très bouché, vent S.E force 3. Aperçu plusieurs chalutiers et bateau à moteur. Vers 17h15 doublons la bouée située à l'W de SKAGI et changeons de route. Nouvelle route S.S.E. Vent augmente progressivement, nous nous approchons de terre. Vers 17h45 le baromètre descend à pic et ne voulant pas franchir RECKJANES, les Commandants se concertent et décident de rallier un mouillage dans le S.E. de SKAGI. A 18 heures en quittant le quart, faisons demi-tour; suis remplacé par le Maître Principal pilote FLOURY.
Le 16 Septembre: Quart de 0 à 4 heures. Apprends que de 23 à 24 heures le loch accuse o milles 5. Position de 0 heure, 13 milles à 14 milles dans l'W de GROTTA ordre venir à droite de la route. Mer 8, vent S.E. force 12. Me tiens au porte voix. Se trouve sur la passerelle: Le Commandant CHARCOT, le Commandant LE CONNIAT, le Maître Principal FLOURY et 1 homme. Le vent souffle avec une violence inouie. Le bateau gouverne très mal. Le cap au compas varie du 130 au 160. La machine tourne environ 100 tours. Vers 1h.30 apercevons les feux de 2 bateaux à vapeur par babord avant (routes coupantes). Vers 2 heures, obligés de passer sur l'arrière du 2éme chalutier qui devait se déranger lui-même. Amené la brigandine pour abattre et appuyer la manoeuvre par sifflet. Le POURQUOI-PAS gouvernant très mal, la barre bloque durant 1 ou 2 minutes fait le signal par sifflet. Evitons le bâtiment et continuons notre route comme auparavant.
Rehissé la brigandine; Le vent le diminue pas. Le bateau roule et tangue. Entre 2h.30 et 3 heures, apercevons par intermittence un feu que personne ne peut identifier. Supposons cependant que c'est AKRANES. Aussitôt le Commandant LE CONNIAT donne l'ordre de sonder (sondes successives 30.35.45). En même temps essayons de changer la cape vent devant. Cette manoeuvre est impossible, le bâtiment ne franchissant pas le lit du vent. Changeons la cape lof pour lof.
Jusqu'à 4 heures le vent ne faiblit pas du tout mais le baromètre commence à monter à pic. La brigandine est mise en loques et la corne qui va au roulis abattue. A 4 heures, remplacé par le Maître Principal FLOURY, je descends me changer et me reposer. Durant mon absence, vers 4h.30 le mat de flèche d'artimon se casse entrainant l'antenne T.S.F. toute communication extérieure interrompue l'état de la mer ne permettant pas de réparer l'antenne.
A 5 heures exactement, le petit jour étant venu, je me lève et remonte sur la passerelle. Le Commandant LE CONNIAT me prie alors de descendre dans l'abri de navigation pour y prendre la carte de la côte NW de l'Islande. Fouillant la chemise 74, j'entends un cri provenant de la passerelle. Je sors et me rends compte que nous sommes au milieu de rochers à fleur d'eau que le temps très bouché nous avait caché jusqu'à lors. Le Commandant donne l'ordre d'augmenter. Je cours au panneau de la machine. Le quartier maître mécanicien PIRIOU me répond que nous tournons à toute vapeur. Le Commandant essaye de manoeuvrer pour quitter ces écueils.
A 5h.15 le POURQUOI-PAS talonne à deux reprises. La vapeur fuse de la chaudière, la machine est devenue inutilisable. Une vague énorme balaye le pont, changeant de place le grand canot et le crevant. La petite vedette à moteur est envoyée à l'eau, la rembarde tribord est brisée. Le premier maître de manoeuvre LE GUEN est projeté à l'eau. Le quartier maître VAUCELLES est blessé à la figure. En quelques minutes le bâtiment franchit ce seuil et flotte à nouveau mais à un cap opposé. Le quartier maître électricien BILLLY fait une ronde dans les cales et rend compte au Commandant qu'elles sont vides. Les deux rondes suivantes donnent le même résultat. Le Commandant fait réveiller tout le mondeet capeler les ceintures de sauvetage.
Il se rend compte qu'il est dans l'impossibilité de tenter de sauver LE GUEN. Il donne l'ordre de hisser les huniers et les focs. Seuls peuvent être établis le petit foc et le petit fixe. Vers 5h35 le Commandant donne l'ordre de mouiller, babord, puis peu après tribord. Cet ordre ne s'exécutant pas, les chaînes défilent rapidement Le bâtiment évite un peu mais vers 5h45 vient s'écraser sur un rocher, à 1 mille 5 environ de la terre que nous apercevons par instants. Le Commandant fait mettre les doris et les embarcations restantes à l'eau. Venant de la passerelle, part cette exclamation "Mes pauvres enfants". Le docteur PARAT vient chercher la ceinture de sauvetage du Commandant LE CONNIAT mais ne la trouve pas. Ce dernier répond "Ca ne fait rien". Le bâtiment s'enfonce rapidement par l'arrière. Essayons de pomper, peine inutile. L'eau gagne trop vite. Vers 6 heures l'eau arrivant au milieu du pont, en poussant le grand canot, je tombe à l'eau. Se trouvaient alors sur la passerelle les deux Commandants, le Maître Pricipal pilote, le docteur PARAT. Je grimpe dans un doris à moitié rempli d'eau où se trouvent déjà le matelot JAOUEN et le quartier maître de manoeuvre POCHIC. A 30 mètres du bord le doris s'enfonce sous nos pieds. Je saisis un chantier d'embarcation et me laisse emporter en même temps que le matelot JAOUEN.
En arrivant aux crêtes des lames, j'aperçois la terre et une maison. J'encourage le matelot JAOUEN, mais il ne peut me suivre. Bientôt je rattrape le quartier maître PERON qui a une bouée couronne. Nous nageons de conserve vers une planche de débarquement que nous apercevons devant nous. L'échelle rattrapée, nous nageons vers la terre de plus en plus proche. Au bout de 5 minutes, PERON devient violet, pousse deux ou trois "Hou, hou" lève les bras au ciel et coule immédiatement sous mes yeux. A demi conscient, j'arrive enfin à toucher terre où je m'évanouis....
LE CONNIAT (Joseph), officier des équipages de 1™ classe, Kérity-Palmpol - LE GLEN (Charles), premier maitre de manoeuvre, ile de Batz - FLOURY (Pierre), premier maitre pilote, rue de la Mairie, à Pontrleux - BASTIEN (Emile), premier maitre mécanicien, rue Amiral-Gauchet, Cherbourg - CABON (Olivier), maitre timonier, Ploudan, en Plouégat-Guerrand - GONIDEC '(Eugène), maitre timonier, Tréboul - RENAULT (Raymond), quartier-maître de manoeuvre, Le Minihlc-sur-Rance- LE PERSON (François), quartier-maître de manœuvre, Plestin - BROCHU (Francis), quartier maître de manoeuvre, La Lyonnais, en Plestin - ESNOUX (Auguste), quartier-maître Saint-Servan - POCHIC (François), quartier maître de manœuvre, Roz-Danilou, en Plouhinec - BOUGEARD (Auguste), quartier-maître de manoeuvre, Saint-Laurent Plage, en Plérin - LE CHEVANTON (André), quartier-maître de manoeuvre, La Roche-Jaune en Plougulel - CORDIER (Louis), quartier-maître de manoeuvre, Ile de Batz - MAHE (Jean), quartler-maître timonier, Moëllan-sur-Mer - PERHERIN (Michel), quartier-maître timomer, à Roz, en Clédel-Cap-SIzun - BILLY (Jean), quartier-maître électricien, 9. rue du Pont-du-Tertre, Saint-Servan - VIGNE (Jean), quartier-maître radio, Minihic, en Pléneuf - BAUDET (Georges), quartier-maître radio, villa Kenavo, à Anglet - PERON (André), quartier-maître mécanicien. 29. rue Capellec, Lorlent - PIRIOU (Yves), quartier-maître mécanicien, restaurant Jaguen, Pontrieux - NICOLAS (François), Vieille Côte, à Plouguiel - LE MENN (Joseph), quartier-maître chauffeur, à Coat Kerju, Le Folgoët - GUILLOU (Jean), quartier- maître chauffeur, Bicétre, en Clédel-Cap-Sizun - VAUCELLE (René), quartier-maître chauffeur, Morlange - SEVEN (Gabriel), quartler-maître fourrier, Penmarc'h - MALESIEUX (Gaston), quartier-maître boulanger, à Louec-Vras, en Landévennec - SIMON (Aristide), quartler-maître cuisinier, Bacouel - EVEN (Désiré), quartler-maître d'hôtel, Larmor, en Pleubian - LE BRIS (François), matelot charpentier, rue de la Rampe, à Camaret - KERVELLO (Jacques), matelot cuisinier, 20, rue de Ploudiry, Landerneau - JAOl'F.S (François), matelot sans spécialité, Douric-ar-ZIn. Lanriec - STEPHAN (Antoine), matelot sans spécialité, rue de l'Ecole des Filles, à Guilvinec - RAOUL (Henri), matelot sans spécialité, village de Lanvian, à Ouessant.
Et cinq personnes qui accompagnaient le Docteur Charcot dans son expédition : MM. PARAT et JACQUIERT, naturalistes - DEVAUX, physicien - LARONDE, bibliothécaire de la Société de Géographie, ainsi que le cinéaste M. BADEUIL.
Notes :
1. Né à Neuilly-sur-Seine le 15 juillet 1867, Jean-Baptiste Charcot est le fils du célèbre aliéniste, le docteur Jean-Martin Charcot (1825-1893), professeur à la faculté de médecine de Paris puis à l’hôpital de la Salpêtrière, réputé pour ses travaux sur les maladies du système nerveux.
Son père lui imposa des études de médecine, alors que Jean-Baptiste avait une vocation de marin depuis son plus jeune âge. Docteur en médecine en 1895, il put cependant satisfaire en partie sa passion pour la marine en pratiquant la navigation de plaisance. Membre du Yatch Club de France dès 1892, il en deviendra le président en 1913.
Une croisière en 1901 dans les îles Féroé détermine la vocation de Charcot comme navigateur polaire. Son premier voyage scientifique officiel se déroule en 1902 dans les régions arctiques. Il sera suivi de nombreuses autres expéditions dans l’Arctique et dans l’Antarctique. Il fait notamment deux hivernages dans les glaces de l’Antarctique en 1903-1905 et en 1908-1909. La Guerre interrompt ses expéditions. Il met ses compétences maritimes au service de la France et de son alliée l’Angleterre, à bord de bateaux spécialement aménagés pour faire la chasse aux sous-marins ennemis.
"En 1914, grâce à la compréhension du ministère de la Marine marchande, le brevet de capitaine au long cours est délivré au docteur Charcot. Peu après, il devait être promu lieutenant de vaisseau auxiliaire, et reçut le commandement d'un baleinier, transformé en bateau-piège, auquel il donna le nom de sa femme, Meg. et avec lequel il se lançait à la chasse aux sous-marins allemands. En 1916, l'amirauté britannique, reconnaissante, lui décerna la croix du Distinguished service. Ensuite il mit au point un bateau-piége, construit par les Ateliers et Chantiers de Bretagne, à Nantes, et qui reçut le nom de Meg II. Il avait l'aspect extérieur d'un petit charbonnier, mais il était habilement maquillé et truqué Ses flancs renfermaient 4 canons de 90 et un canon à tir rapide de 47. Il patrouillait à l'entrée de la Manche principalement entre Saint-Malo et Ouessant et les Cornouailles. Malheureusement, les occasions de rencontrer l'enneml étaient rares. Pourtant, la chance le favorisa, une seule fols, et sa citation, à l'ordre de l'armée navale, du 14 septembre 1918, dît expressément : "A montré, au cours d'une rencontre du bâtiment spécial qu'il commandait et d'un sous-marin ennemi, le courage réflechi, la décision et l'énergie d'un chef de grande autorité morale."
Durant ce temps, le "Pourquoi-Pas ?" servit de navire-école, pour la formation de chefs de quart. L'armistice de 1918 signé, le Pourquoi-Pas ? rallia Cherbourg, jusqu'en 1919.
Il reprend ses expéditions avec le "Pourquoi Pas?"
à partir de 1920 dans ses mers et régions de prédilection : les îles Féroé, l’île Jan Mayen, le Groenland (mers de Norvège et du Groenland). À partir de 1925, atteint par la limite d'âge, il perd le commandement de son navire, mais demeure à bord en qualité de chef des missions. Il va effectuer de multiples navigations vers les glaces de l'Arctique. En 1926, il est élu membre libre de l'Académie des sciences et vice-président de la Société de géographie. En 1928 il participe à la recherche de l’explorateur norvégien Roald Amundsen, disparu aux commandes de son hydravion.
En février 1934, il rencontre le jeune Paul-Émile Victor. Celui-ci embarque à bord du « Pourquoi-Pas ?» pour être déposé en hivernage dans l’Arctique. En août1936, le "Pourquoi Pas?"
conduit une nouvelle fois Paul-Émile Victor en hivernage, dernier voyage de Victor avec Charcot et dernier voyage du "Pourquoi-Pas ?". Le 15 septembre 1936, en effet, le "Pourquoi-Pas ?" quitte Reykjavik par temps calme, mais la tempête survient et après des heures de lute contre les éléments le « Pourquoi-Pas ? » fait naufrage au petit matin du 16 septembre 1936 au large des côtes de l’Islande, entraînant dans la mort Charcot et l’équipage du « Pourquoi-Pas ? ». Il y eut un seul rescapé, le timonier Gonidec. Des corps sont rejetés sur la côte dont celui de Charcot, mêlés aux débris et épaves du "Pourquoi-Pas ?", entre autres des documents scientifiques qui furent versés au Muséum, puis par ce dernier aux Archives nationales (cote AJ15 564).
Charcot eut des funérailles nationales à Notre-Dame de Paris le 12 octobre 1936.
Précurseur de l’océanographie contemporaine, Charcot s’inscrit dans la lignée des grands découvreurs et explorateurs des régions polaires, à la fois marin et scientifique, dont les campagnes sont faites en lien avec des établissements comme le Muséum et le Service hydrographique de la Marine.