SOUVENANCE
(1858- 1871) trois-mâts carré

Cap des Aiguilles
Tempête, le 18 mai 1871

Caractéristiques
SOUVENANCE, trois-mâts barque 797 tx 44/100, francisé à Nantes le 20 mars 1858 et armé au long cours et construit à Nantes en 1858, jaugeant 797 tonneaux; armateur M. Gabriel Lauriol, capitaine Bruneteau.

Le naufrage

La Souvenance sous les ordres du capitaine Bruneteau, est expédié le 16 mai 1870 de Saint-Nazaire sur lest pour Cardiff le 19 mai. « L’équipage s’engage à suivre le navire dans toutes ses opérations commerciales légales.
Le 11 juin, le capitaine Bruneteau et son équipage quittent Cardiff avec un chargement de charbon déposé à la Réunion le 14 septembre 1870. Le 7 septembre le navire se rend sur lest à Pondichéry où il mouille le 15 octobre. Conditions passées à Pondichéry, l’équipage s’engage à faire le voyage d’émigrants de Pondichéry à la Martinique moyennant une augmentation de salaires ».
Le 28 décembre 1870 il est affrété, au nom du gouvernement français, pour transporter des coolies pour la Martinique touchant à Karikal. Le 19 mars 1871, le navire quitte Pondichéry pour Karikal avec à son bord, 225 passagers dont le médecin et l’infirmier interprète, originaire de Pondichéry, Sinnasamy. Le capitaine établit la liste des émigrants : 147 hommes de 16 à 36 ans, 63 femmes de 14 à 30 ans, 1 garçon de 11 à 15 ans, 13 enfants de 1 à 10 ans et 1 enfant de un an.
Le 19 mars le navire parvient à Karikal avec 24 hommes d’équipages et embarque 153 émigrants supplémentaires puis repart le lendemain pour la Martinique avec à bord 378 émigrants. Le navire relâche à Port-Maurice le 23 avril 1871 pour « faire de l’eau » puis est mis en quarantaine sans déposer ses papiers au Consulat.
Le 17 mai 1871, le pire des naufrages qu’est connu la côte Africaine se déroule en plein nuit. Le trois-mâts La Souvenance fait naufrage au Cap des Aiguilles.
Le journal L’Avenir d’Arcachon nous raconte « l’épouvantable naufrage du navire français qui s’englouti près de Cap-Town, ayant à son bord 380 coolies. Pas un seul de ces malheureux, ni aucun homme de l’équipage du bâtiment n’a échappé au sort commun. Tous ont péri.
« Le désastre ne vient d’être connu, il y a encore bien peu de temps que par les nombreuses épaves et les corps mutilés des malheureux que le flot a rejetés sur la côte. Le navire avait fait étape à l’île Maurice. Le consul de France à Cap-Town, Monsieur Hugo, parcours le rivage pendant 23 jours en découvrant, à flot, des couvertures ayant appartenu à des coolies et des ballots de laine. Sur un rocher près de là, était venu s’échouer le flanc du navire presque tout entier, un assemblage de pièces de bois long de 30 pieds environ. Une autre partie du navire flottait plus loin à l’ouest. L’arrière du navire se trouvait un peu plus au large sur une petite ile, ile entourait de brisants et de courants violents.
C’est là que la Souvenance est venue se briser avec force terrible contre les rochers. Les trois mâts du navire ont étés retrouvés. Deux d’entre eux étaient brisés et portaient encore leurs voiles, le grand mât était intact. A la poupe du bâtiment tenaient encore les ancres et les chaines du navire.
Selon les indices on peu supposer que la Souvenance a fait naufrage vers le 15 ou le 17 mai 1871. En même temps qu’une multitude d’épaves, une quantité énorme de cadavres de coolies arrivaient également à la côte.
Vers la fin de mai, le nombre de corps des malheureux coolies s’élevaient à 200. Tout fait supposer que le naufrage a du avoir lieu la nuit car la plus grande partie des cadavres étaient nus. Chose horrible à dire ; ils étaient tous aussi aux trois quarts dévorés par les requins. Seuls les quatorze cadavres blancs qui ont été retrouvés n’ont pas été touchés. A Queen-Point, Monsieur Hugo a repêché une caisse de médicaments ayant appartenu au docteur du bord. Bientôt on retrouvait encore une caisse de biscuits. Sur l’un des côtés de cette caisse on lisait « Thébaut et fils, biscuit à l’équipage, Nantes, 148 kilos ». Plus loin apparaissait une partie de la carène du navire : la quille.
Monsieur Hugo dit à ce sujet ; « c’est la quille qui a d’abord touché sur les rochers. L’empreinte de la pointe des rocs et la manière dont elle est brisée en font foi ». Quant aux causes du naufrage pas un survivant n’a réchappé pour venir les raconter. Elles resteront toujours à l’état de mystère.
En apprenant ce terrible désastre, la consternation la plus grande a régné pendant plusieurs jours au Cap., où jamais évènements de mer plus atroce n’avait été signalé ».
Dans l’Union Bretonne du 13 juillet 1871, parait le courrier écrit par la seule maison Française du Cap, De Possel-Deydier, négociant au Cap de Bonne Espérance, « J’ai cru devoir prendre la liberté de vous écrire pour vous informer de la perte de votre navire Souvenance, capitaine Bruneteau. Une forte tempête du nord-est régnait sur la côte, lorsque votre navire s’est perdu. Cette tempête a forcé beaucoup de navires à rentrer en avaries. Un capitaine Norvégien m’a rapporté un coffre appartenant, sans doute, à un matelot, ainsi que le brevet du capitaine, qu’il avait recueilli en mer. J’ai remis le tout au consulat. La maison de Messieurs Barry et neveux, établie à Bredasdorps, a pris en charge des débris et a fait une vente qui, d’après ce que le chef de maison m’a rapporté ne couvrira pas les frais qu’elle a fait ».
Le musée des naufrages à Bredasdorp conserve un extrait du rapport du consul Hugo : « Nous avons trouvé dans l’épave le corps d’un homme qui était couvert de poils telle une vache ». Quelques jours plus tard le consul rectifie son écrit et indique : « il s’agissait en fait d’un ourang-outan ». Le naufrage eut un retentissement national et international comme l’indique les articles du Journal Lyonnais du 15 juillet 1871, de l’Univers du 13 juillet 1871, et du Petit Journal de Paris.
The Sydney Morning Herald du 31 aout 1871, qui donne une toute autre lecture du naufrage, accusant les autorités Françaises d’avoir enfreint la convention entre Britannique et Français. La convention d’émigration ayant expirée, le gouverneur de Pondichéry donne cependant son accord pour un départ de la Souvenance pour la Martinique malgré le refus du gouvernement de Madras. D’autres périodiques Australiens relayent la rumeur en septembre 1871.
« The Goulburn Herald and Chronicle » et le « Telegraphic Intelligence de Melbourne » du 6 septembre 1871, titrent : « Loss of a ship and 450 coolies. We regret to learn by special telegram that the Souvenance, which sailed from Pondicherry some months ago with 450 coolies on board, from the Antilles, foundered off the Cape of Good Hope, at the end of May, and that all on board were lost. The term of the convention between the French and English governments regarding coolie emigration having expired before the departure of the Souvenance, an application was made by M. Bontemps, the Governor of Pondicherry, for an extension, but the Madras governement are understood to have refused their assent to the proposal. Where upon M. Bontemps made a private reference to Lord Napier, and it is alleged obtained his Lordship’s sanction to the evasion of the convention. If these rumours are correct, the secretary of state for India will have to call upon his Excellency for an explanation of the evasion which has virtually resulted in the loss of nearly 500 lives. Madras ».
En quarante ans d’immigration indienne aux colonies françaises, il n’y eu que deux naufrages, celui de la Souvenance et celui du Sans-Souci qui coula en 1851, avec à son bord, 187 passagers à destination de la Réunion, le capitaine ayant placé d’importantes quantités d’eau sur le pont déséquilibrant le navire.
Les navigateurs connaissent la dangerosité au large du Cap, entre le 15 mai et la fin du mois d’août, les hivers australs et leurs vents d’ouest rendent pratiquement impossible la navigation.
La guerre franco-allemande en Europe a retardé le départ de la Souvenance qui aurait dû avoir lieu avant le 15 mars. Le gouverneur français ne souhaitant pas payer de frais énormes dus au report du voyage, autorise, avec l’accord de l’administration de Pondichéry, le gouvernement de Madras et le consul britannique, un départ de Pondichéry après le 15 mars. Le trois-mâts quitte Karikal, situé dans le sud de l’Inde, seulement le 19 mars 1871.
Equipage :
1. BRUNETEAU Emmanuel Joseph, capitaine, né le 23/12/1833 – 2. SANGLIER Joseph Alfred, né le 26/03/1845 – 3. LEVAVASSEUR Marie Vincent, né le 27/02/1849 – 4. AUBINAIS Lucien Louis, né le 8/02/1843 – 5. QUENIL Joseph Alfred, né le 23/01/1832 – 6. MELSE Marius François, né le 17/03/18? – 7. MAURIC Jérôme, né le 24/02/1838 – 8. FECHANT Charles, né le 14/09/1850 – 9. L’HERMITE Joseph, né 6/07/1850 – 10. CHANTREAU Joseph, né le 8/12/1849 – 11. MOUISSET Alfred Vincent, né le 27/09/1845 – 12. HERBRAUD Charles Auguste, né le 11/10/1850 – 13. CADEVERT Jean-Marie, né le 12/07/1842 – 14. MERCIER Joseph Marie, né le 5/02/1850 – 15. PINARD Auguste, né le 15/08/1851 – 16. RABAS Joseph, né le 9/06/1841 – 17. MAILLARD Victor Narcisse, né le 21/12/1829 – 18. PISSARD Henri Abel, né le 26/02/1854 – 19. LEGOUIC Jacques Marie, né le 6/04/1852 – 20. CAMARET Théophile, né 22/02/1852 – 21. BERTHO François Louis, né le 9/10/1853 – 22. BECA Auguste, 27 ans – 23. VEZIN Camille, né le 26/03/1841 – 24. SINNASAMY, né le ? à Pondichery.
La condition des coolies dans les colonies

Après l’abolition de l’esclavage en 1848, des travailleurs indiens furent recrutés dans les Antilles pour pallier le manque de main d’œuvre des colonies françaises. Ces travailleurs indiens, à la recherche d’un eldorado, ont trouvé le servage…
Le 6 mai 1853, les 300 premiers engagés indiens des Antilles débarquent dans la rade de Saint-Pierre. Ces passagers de l’AURELIE, la vue du volcan représente la fin d’un voyage de 90 jours à travers deux océans, du comptoir français de Pondichéry jusqu’à la colonie martiniquaise.
Bercés par des espoirs de vie meilleure, 25 000 de leurs compatriotes les rejoindront sur « l’île aux fleurs », 42 000 iront en Guadeloupe et plusieurs milliers en Guyane durant les quatre décennies suivantes.
Ce sont eux, travailleurs indiens libres recrutés pour des contrats de cinq ans, qui sont chargés de remplacer les esclaves libérés en 1848 dans les champs de canne à sucre. Maltraités par les propriétaires des plantations, diabolisés par les prêtres catholiques, méprisés par les « nouveaux citoyens »noirs, ces « coolies » (dérivé du turc « köle » qui signifie « esclave »), comme on les surnomme alors avec dédain, sont une main-d’œuvre docile et bon marché.
Définies par le traité franco-anglais, les conditions de vie des engagés sur les bateaux sont contrôlées par un agent britannique avant le départ. Un second les attend de l’autre côté du globe, pour surveiller les conditions de travail. Ces Indiens faisant voile vers les colonies de la République française n’en restent pas moins des sujets sous la « protection » de Sa Majesté. Les abus sont pourtant légion. Ceux qui débarquèrent aux îles à sucre, candides, allaient devoir subir l’oppression des maîtres colons… Logés dans les bâtiments auparavant réservés aux esclaves, victimes d’abus physiques, les coolies rencontrent une nouvelle forme de servage. En Martinique, près de 40 % des engagés, fatigués, déçus, profitent du billet retour garanti pour ceux ayant honoré le contrat.
Les agents recruteurs en Inde masquaient bien évidement la réalité aux coolies, difficulté des travaux qui les attendaient et les relations délicates avec les habitants, les grands propriétaires et les anciens esclaves. Les recruteurs étaient payés, au moment de l’embarquement, deux roupies pour un homme, six pour un couple, la moitié pour les enfants de 10 à 16 ans.. La compagnie générale maritime va profiter largement de ces transports.
L’armateur, Gabriel Lauriol, comme les autres armateurs, même si la quantité est en général présente, n’offre aux migrants qu’une nourriture qualitativement très pauvre, repas à base de curry, brisures de viandes, produits frais absents, 4 litres et demi litres d’eau par personne. Malgré les difficultés rencontrées le taux de mortalité reste faible lors des transports, il n’en est pas de même sur les plantations.
Les bateaux « coolie ships » sont des voiliers. Les passagers sont logés dans l’entrepont et séparés totalement des quartiers de l’équipage. Les installations collectives, infirmerie, cuisines, toilettes, sont établis sur la partie centrale du pont, où les coolies doivent demeurer pendant la journée. Manque d’espace et promiscuité érodent déjà les différences culturelles, religieuses, sociales et de caste, et facilitant un brassage humain. Certains d’entre eux craignent la malédiction promise à ceux osant braver l’interdiction de franchir les océans (le Kalapani des hindouistes).Ce commerce humain est une affaire lucrative pour la Compagnie générale maritime signataire d’un contrat rémunérateur avec le Ministère de la Marine. Mais en 1866, la concurrence s’établit avec les bateaux anglais, plus efficaces et plus nombreux en Inde. Entre 1866 et 1885, soixante des soixante-quatre convois à destination de la Guadeloupe sont des voiliers britanniques.
Le gouvernement britannique impose un arrêt de la migration en 1888. L’administration Française va cautionner pendant des décennies, la violence, la brutalité sur les exploitations, protégeant même les propriétaires meurtriers.

Sources
Bureau veritas (1871) ; Courrier Breton (15/07/1871) ; A.D. 44 (7 R 4 /21 f° 769 & 7 R 4 /23 f° 208 – 7 R 6 / 191 désarmement 20 ; L’Union Bretonne (12, 13 et 26 juillet 1871) ; Tableau de Charles Leduc « Majestueux Portrait D’un Trois-mâts Carré » ; « Les Coolies de l’Empire dans la Caraïbe » article de yves Charbit, in Revue Européenne des Migrations Internationales, Année 1986, pp. 83-103