l'Eugène Schneider
EUGENE SCHNEIDER (1), trois-mâts barque, lancé le 5 avril 1902 pour la Société de Navigation Française (2) par les Chantiers Nantais de Constructions Maritimes, Nantes-Chantenay (yard n° 29).
C'est un grand trois-mâts en acier qui mesure 84,70 x 12,26 x 6,89 mètres et jauge 2314 tonneaux. Port d'attache : Nantes..
Photos State Library of Victoria |
"Le 22 Septembre 1910, au cours d’une traversée Liverpool - Callao avec un chargement de charbon, sous les ordres du capitaine Le Meilleur, le navire franchit le détroit de Lemaire et le cap Horn fut en vue. Les vents étant à l’ouest, il commença à louvoyer.
C’est alors qu’une fumée fut aperçue, s’échappant du panneau avant. Le feu avait pris dans la cargaison. Il fut impossible de l’éteindre et la mer devenant mauvaise, le capitaine décida d’aller relâcher à Port Stanley (Iles Malouines).
Mais le 28 Septembre au soir, le vent sauta au SW et se mit à souffler en furie. Les hommes, à moitié asphyxiés par les fumées, devaient arroser en permanence la cale où la température atteignait 70°. Le capitaine décida de remonter en fuite sur Montevideo qu’il atteignit le 12 octobre au soir, après un combat acharné contre le feu. Le navire fut échoué sur les vases de la rade, et il fallut le couler pour venir à bout de l’incendie. Toutefois, les assureurs purent vendre la cargaison et le navire fut remis en état. Le sinistre avait coûté 112 000 francs de l’époque.
Puis vient la Grande Guerre. Le trois-mâts Eugène Schneider quitte Tocopilla, le 27 juin 1914, pour l'Europe avec un chargement de nitrates. A son arrivée à Queestown, il est saisi par les autorités britanniques et sa cargaison est déchargée à Liverpool, soupçonnée d'être destinée à une firme allemande. Les armateurs seront dédommagés après-guerre. Le navire traversa toute la Grande Guerre sans dommages et arrivera bien à Pensacola à la fin décembre 1918.
Il fera un dernier voyage en Australie en 1921. Fin 1921, la Société générale d’armement, de Nantes, rassembla toute sa flotte au canal de la Maritinière en attendant d’en régler le sort : 34 trois-mâts et 2 quatre-mâts alignés de part et d’autres de l’écluse des Champs Neufs.
L'Eugène Schneider, lui, est réarmé en 1923 pour faire des voyages de transport de bois depuis le Cameroun vers les ports européens.
Le trois-mâts barque français Eugène Schneider était en route le 25 Décembre 1926 de Manoka (Côte Occidentale d'Afrique) vers Gand. Il transporte sous forme de grumes (bois non flottant), des traverses de chemin de fer pour l'Etat belge. Ses feux étaient clairs, la bordée de quart sur le pont et la position estimée à environ 30 milles dans le Sud de Portland. La mer était calme, beau clair de lune. C'est alors que peu avant minuit, le vapeur anglais BURUTU (3) en route d'Anvers à la côte d'Afrique de l'Est, entra en collision avec le voilier et enfonça son étrave dans la coque du voilier qu'il maintenait ainsi à flot. Craignant de sombrer à son tour, il fit machine arrière et se dégagea. Les matelots Cariou, Huiban, Huet et Le Bihan parvinrent à sauter à bord du vapeur sur ordre de leur capitaine.
Le trois-mâts coula en une minute, entrainé vers le fond par son chargement. Nulle trace du navire, ni des 24 hommes dont le capitaine Govys restés à bord.
"Je suis né, le 9 mars 1901, à Penmar'ch, et je navigue depuis mon jeune âge. J'ai embarqué le 25 mai 1926 sur l’Eugène-Schneider, trois-mâts-barque de la Société Générale d'Armement.
Nous étions partis le 8 décembre de Manoka, à destination de Gand. Traversée magnifique. Aucun incident de route. Tout allait très bien à bord. Tous nous étions heureux de pouvoir, pensions-nous, passer le jour de l'an dans nos familles. Et pour des marins au long-cours, c'est là une joie bien rare. Dans la nuit du 25 au 26 décembre nous nous trouvions dans le milieu de la Manche et avions viré à 3 h. 30 sur Barfleur. Nous marchions à la moyenne de 2 à 3 noeuds. La mer était à peu près calme. Un peu de houle de fond avec assez fort vent de nord-est. On larguait même un peu de toile. J'étais à la barre. L'homme de bossoir était Vichon, d'Audierne. Le quart était composé, outre nous deux, de Maurice Bihan, Le Noch, Folliot, Philippe, Rio, Frioux, Osson, M. Bihet, notre second, était officier de quart. Un vapeur était signalé depuis déjà une heure, mais on ne s'en inquiétait pas. Nous avions d'ailleurs nos feux réglementaires du voilier, rouge, vert et blanc. Toutes nos précautions étaient prises.
A la barre de l'Eugène Schneider en 1912 Photo (L'Illustration (n° 4376, 15/01/1927)
Cependant, vers 11 h. 30, Vichon, l'homme de bossoir crie : "Un vapeur sur nous !". Le capitaine et le reste de l'équipage montent précipitamment sur le pont. Les signaux ultimes sont faits. Mais, tel un bolide, le vapeur anglais Burutu nous aborde entre le grand mât et le mât de misaine. Son étrave s'enfonce de 1 m. 50 à 2 mètres dans le flanc de notre bateau. "Sauvez-vous, les enfants ! nous crie le capitaine Govys".
Fuyant ce navire perdu, par quel hasard, moi et mes trois camarades, nous sommes-nous trouvés au seul endroit susceptible de nous sauver ? Toujours est-il que la rambarde sur laquelle nous nous trouvions vint à un moment donné se placer à 1 m. 50 environ sur le même niveau que le coffre du vapeur, Huet et Bihan s'élancèrent rapidement, je les suivis. Huiban parvint le dernier à s'accrocher. Quant aux autres, le temps leur a manqué; d'ailleurs le vapeur a immédiatement viré sur place.
Cependant je dois signaler l'attitude du capitaine Govys et du second Bihet qui étaient places auprès de nous et qui ne firent aucun mouvement pour se sauver. Attitude héroïque. Au bout de trois minutes, l’Eugène-Schneider a coulé. Vision sinistre, dans les remous nous voyons nos malheureux camarades s'engloutir ; plusieurs sont accrochés à la rambarde et crient éperdument. "A moi Maurice !" appelle Paul Bihan à son frère qui jette en vain plusieurs bouées à la mer. Dans la nuit, claire, c'est une véritable scène d'enfer. Oh ! quand j'y pense ! (la figure noire de notre interlocuteur se crispe, les larmes lui montent aux yeux. Le moment est tragique.)...
Nous arrivons sur le Burutu, nous ne voyons d'abord personne. Il faut aller jusqu'au château d'avant pour apercevoir l'équipage occupé à mettre les embarcations à l'eau; nous lui donnons la main. Tout le monde hurle des mots incompréhensibles et parait plus excité que de raison. La commandant nous demande en mauvais français : "Est-ce un vapeur ou un voilier que nous venons de couler ?"
Comment ! L’officier et les hommes de quart n'ont pas distingué un voilier, d'un vapeur ? Faut-il donc que Christmas leur ait fait perdre la tête à ce point, criminelle imprudence ! Nous fûmes d'ailleurs bien reçus sur le Burutu. Grog et thé nous furent servis et nous eûmes des couchettes à bord.
Le lundi matin 27 décembre vers 10 heures nous débarquâmes à Portland et de là on nous dirigea sur Weymouth où nous avons passé 2 jours et 2 nuits dans la maison des marins. Nous n'avons pas eu à nous plaindre. La nourriture était abondante et bonne, et plus personnellement j'y ai reçu une casquette et un cache-col et mes trois camarades chacun une casquette et un veston. Le 29 on nous dirigea sur Londres et ensuite sur un petit port aux environs de Douvres où nous trouvâmes le capitaine français Gouriou, de la Société d'armement. Nous avons embarqué dans un petit port, près de Douvres, le 31 décembre, et le 1er janvier, à 3 h. 15 du matin nous étions à Nantes. Ici, réception chaleureuse. Malgré cela, chacun de nous aurait bien voulu rejoindre au plus tôt sa famille. Mais nos armateurs ont bien le droit eux aussi de connaître la vérité (les Anglais nous ont bien interrogés pendant deux jours) ; moi, parce que marié, j'ai obtenu d'être le premier à déposer mon rapport et voilà pourquoi j'ai pu arriver chez moi hier matin, vers 10 heures..."
C'était la nuit de Noël, la bière avait-elle coulé à flots sur le BURUTU ? Il est un dicton maritime qui affirme : "Aux environs de Christmas, il est prudent de s'écarter de la route de tout navire anglais aperçu... surtout si c'est à lui de se déranger"
Fiche matricule de René Souplet
Latitude : 50° 06',6730 N - longitude : 001° 41',0210 W
1. Eugène Schneider : député de 1845 à 1848, ministre, député au Corps législatif de 1852 à 1870, né à Bidestroff (Meurthe) le 29 mars 1805, mort à Paris le 27 novembre 1875, frère du précédent, perdit son père de bonne heure, et dut accepter un modeste emploi d'abord dans une maison de commerce de Reims, puis dans la maison de banque du baron Sellière; il se distingua par son aptitude aux affaires, et devint, à vingt-cinq ans, directeur des forges de Bazeilles. Lorsque son frère (1833) fut nommé directeur gérant du Creuzot, M. Eugène Schneider lui fut adjoint comme co-gérant (1833): il contribua puissamment à la prospérité de cet établissement. Son frère mort, M. Schneider fut élu à sa place conseiller général de Couches et Montcenis, puis (13 septembre 1845) député du 5e collège de Saône-et-Loire (Autun). Seul directeur du Creuzot, il acquit bientôt une haute situation industrielle. Membre du conseil général des manufactures, M. Schneider fut réélu député, le 1er août 1846. Il appuya jusqu'à la fin du règne la politique de Guizot, et appartint constamment à l'opinion conservatrice. Il se présenta sans succès, en 1848, à l'Assemblée constituante, et, en 1849, à la Législative. Mais, le 20 janvier 1851, L.-N. Bonaparte, président de la République, appela M. Schneider à faire partie d'un cabinet intérimaire, avec le portefeuille de l'Agriculture et du Commerce, qu'il conserva jusqu'au 10 avril suivant. M. Schneider fut alors nommé commandeur de la Légion d'honneur. Partisan du coup d'Etat du 2 décembre 1851, il devint membre de la Commission consultative, et fut élu, le 29 février 1862, comme candidat officiel, député de la 2e circonscription de Saône-et-Loire au Corps législatif. Rapporteur du budget (session de 1853), il fit un séduisant tableau de la prospérité financière, non sans s'élever "contre l'esprit d'entreprise qui tourne à la spéculation, contre les fortunes subites qui excitent outre mesure l'imagination et occasionnent des entraînements et des excès regrettables". D'abord vice-président de l'assemblée, il fut appelé, par décret, à la présidence en 1867. Il passa ses dernières années dans une retraite absolue, au point de vue politique. Régent de la Banque de France, président du conseil d'administration de plusieurs grandes sociétés industrielles, c'est surtout comme directeur de l'usine du Creuzot, dont il a renouvelé l'outillage et considérablement accru l'importance, que M. E. Schneider passe pour avoir montré des capacités de premier ordre. Frappé, en 1874, d'une attaque d'apoplexie, il resta presque complètement paralysé, et succomba le 27 novembre 1875. Grand-croix de la Légion d'honneuren 1868. ( Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, de A.Robert et G.Cougny.)
2. Société Générale d’Armement : ex Société de Navigation Française devient la Société Nouvelle d’Armement puis avant la guerre la Société Générale d’Armement. A la veille de la Première Guerre mondiale, la Société Générale d'Armement (ex-Compagnie française de navigation) était devenue la plus grosse compagnie maritime nantaise en absorbant de nombreuses autres compagnies. Les nombreux voiliers coulés pendant le conflit et la Loi des 8 heures marqua la fin de ces voiliers. Le reste de la flotte fut désarmé dans le canal de la Martinière.
"Au cours de l'année 1898 on recueillit à Nantes et dans les environs plusieurs millions destinés à la construction des voiliers, construction qui semblait devoir prendre un certain essor grâce aux lois de 1893. Celles-ci avaient pendant quatre années produit peu d'effets en raison de la prudence des détenteurs de capitaux, devenus méfiants suite à la crise mondiale de fret de 1884 . La flotte nantaise s'accrut rapidement par les constructions faites à Rouen, Bordeaux, Saint-Nazaire et les chantiers locaux, aidés des chantiers nantais de Chantenay nouvellement créés en 1899. De nouvelles compagnies se formèrent, une vingtaine au total. Le dernier navire à voiles construit pour profiter de la loi du 31 janvier 1893 fut le "Rochambeau", livré en décembre 1902 à Nantes. Puis l'effet de la loi de 1893 cessant de se faire sentir, la construction cessa brusquement à la fin de l'année 1902. Avant la guerre de 1914, la Compagnie Française de Navigation devenue la Société Générale d'Armement avait absorbé les flottes de plusieurs compagnies et était devenue la plus puissante maison d'armement de voiliers de Nantes. La première guerre mondiale vit la disparition de nombreux voiliers armés à Nantes, puis la loi de 8 heures obligea les armateurs nantais à désarmer leurs voiliers dans le canal de la Martinière situé près de Nantes. Le 22 septembre 1927, le dernier navire de la Société Générale d'Armement quittait le canal, vendu à un armateur Havrais. La flotte des grands voiliers Cap-Horniers nantais, après plus de trente années d'existence, avait disparu pour toujours ! Au total 149 voiliers Cap-Horniers naviguèrent sous pavillon nantais entre 1893 et 1921." Louis Lacroix : "Les Derniers grands voiliers. Histoire des long-courriers nantais de 1893 à 1931", J. Peyronnet et Cie, Paris, 1937.
3. SS BURUTU : cargo n° officiel 142732, lancé le 18 octobre 1918, sous le nom de WAR SWAN par les chantiers Sunderland Shipbuilding Co. Ltd., South Dock (yard 319) . C'est cargo qui mesure 121,9 x 16 mètres pour une jauge brut de 5275 tonnes. Il fait partie de la série des "War" lancés pour le Gouvernement britannique. En 1920, il est acheté par l' Elder Dempster Company Ltd qui le renomme BURUTU. En 1934, il est vendu en Grèce (D. Inglessi & Fils) sous le nom de DIMITRIOS INGLESSIS. il finira féraillé à Osaka, le 4 juillet 1959.
SS BURUTU
4. Manoka : la commune de Manoka porte le nom de l’île éponyme. Elle est située au large du petit port de pêche de Youpwé, au quartier Nkwansi, noyé au cœur d’un lac. L'Ile de Manoka se situe au large du petit port de pêche de Youpwé, lui-même à quelques minutes seulement de Douala.