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Date de mise à jour : 30/10/2017 (60 nouvelles épaves, 41 mises à jour)

CRISTINA RUEDA
ex CARADOC (1899), ex CITTA DI VENEZIA (1901), ex SEVILLA (1916)

(1872-1925)

pavillon espagnolPavillon Rueda

Ile de Ré
Tempête, le 24 février 1925

Cristina Rueda
Les épaves de la baleinière du Cristina Rueda et du canot de sauvetage Commandant-Viort (Photo J. Clair-Guyot)

Caractéristiques

Cargo n° officiel 1065451, lancé le 2 décembre 1872, par le chantier Leslie, à Hebburn (yard 148), sous le nom de CARADOC pour Adamson & Co, pavillon anglais. Vendu en 1899, il prend le nom de CITTA DI VENEZIA pour A.Parodi . Revendu en 1901, il est renommé SEVILLA pour la Cia. Sevillana de Navegacion a Vapor puis en 1916, il passe à l'armement D. Ruada et prend le nom de CRISTINA RUEDA.

C'est un vapeur de 1353 tonnes brut de 73,3 x 9,3 mètres (240,4 x 30,8 x 16,6 pieds), propulsé par une machine compound 2 cyl. (26" & 54-33"), contruite par Thomson, Boyd & Co. à Newcastle) de 120 NHP.

Au moment de son naufrage il est la propriété de Antonio Menchaca y de la Bodega, de Bilbao.

Le naufrage

 

Cristina Rueda
Ouest-Eclair (25/02/1925)

Ce vapeur de Bilbao, a coulé à 2 milles en mer en face de Bois en Ré.

"Le dimanche soir, 22 février un cargo espagnol le Cristina-Rueda, immatriculé à Bilbao quitte Paimboeuf, à destination de Pasajes avec un chargement de 1850 tonnes de superphosphates. A son bord se trouvent 19 marins espagnols sous le commandement du capitaine Marcelino Monasterio, âgé de trente cinq ans.
Dans la journée du lundi, malgré une mer forte, le voyage se poursuit sans incident. Mais vers huit heures du soir, la tempête arrache le gouvernail du navire alors qu'il double la pointe nord de l'ïle de Ré. Ne pouvant plus gouverner, le Cristina Ruada dérive sur l'île. Il est drossé sur les rochers de la côte sauvage, au sud de l'île de Ré, au large de la pointe de la Couarde, dans la nuit du 23 au 24 février.

La tempête bat son plein et une série de déboires vont s'enchaîner. L'équipage du cargo tente de mettre, malgré la nuit, ses deux baleinières à l'eau. Elles sont emportées par les vagues alors que, dans chacune, deux hommes seulement ont pris place. La première chavire aussitôt noyant immédiatement l'un des occupants alors que le second emporté par la mer s'échoue sur la grève où l'on le retrouve évanoui le lendemain. La seconde atterrit sur la plage mais l'un deux occupants a été emporté par une lame, l'autre arrive à gagner le hameau du Bois et donne l'alarme.

Les stations de sauvetage de la Pallice, La Rochelle et les Baleines sont alertées. La population se rend sur les lieux, mais la mer démontée rend la tâche impossible. Pourtant deux des patrons pécheurs, Guérande-La-Fleur et Cochard père & fils, à bord de leurs barques de pêche, tentent d'aller porter secours aux Espagnols. Ils ne peuvent atteindre le navire, mais recueillent deux matelots réfugiés sur un radeau de fortune. Un troisième marin qui avait pris place sur ce radeau est mort d'épuisement en tentant de regagner la côte à la nage.

A 13 heures, les témoins aperçoivent trois hommes qui sautent dans un radeau. Celui-ci chavire à moins d'une centaine de mètres de la plage. Une chaîne humaine se compose pour venir au secours des malheureux. Ils sont hissés sur la plage, l'un deux est sans vie. Les deux autres sont le second mécanicien et le capitaine du Cristina Rueda, Marcelino Monasterio.

Le bateau de sauvetage de La Rochelle, le canot à moteur, Commandant-Viort (1) prend la mer, tandis que celui de La Pallice heurte un chaland lors de sa mise à l'eau et doit être immobilisé. Le canot à rames de Saint-Denis-d'Oléron doit rebrousser chemin devant la violence de la tempête. Arrivé sur les lieux du naufrage, le canot de sauvetage de Ré trouve une épave presque complètement submergée et ne voit aucun signe de vie. Estimant qu'il n'y a plus d'espoir, il fait demi-tour et transmet l'information au canot Commandant-Viort de La Rochelle qu'il croise. Celui-ci retourne à sa base qu'il atteint à la nuit de mardi.

Mais dans la nuit, les douaniers de surveillance aperçoivent des feux sur l'épave. Les marins ne peuvent en effet se signaler que lorsque la marée découvre suffisamment la coque disloquée. Les bateaux de sauvetage sont de nouveau sollicités. Seul celui de La Rochelle répond à l'appel mais le patron Le Hécho n'a que la moitié de ses hommes : le sous-patron Tabourin, le mécanicien Jaeger et le matelot-pilote Tonnerre. Il recrute alors des volontaires sur le port. Quatre hommes se présentent, deux du Fleur d'Alsace des Sables-d'Olonne Jules Barbot et Cadoret, et deux du Gloire-à-Dieu de Lorient, Louis Le Pen et Joachim Uhel.

Cristina Rueda

Cristina Rueda

Le Cristina Rueda

Commandant-Viort

Cinq sauveteurs

Coupe du canot Commandant-Viort

Les cercueils des cinq sauveteurs

Le 25 février au matin. La tempête est toujours aussi violente. Le bateau, vent debout ne peut progresser qu'au moteur, les hommes d'équipage sont amarrés à leur banc. Il arrive quatre heures plus tard sur les lieux du naufrage. Les témoins aperçoivent une agitation à bord de Cristina Rueda. Des marins jettent un radeau à la mer et quatre d'entre eux s'y jettent. Les vagues les arrachent bientôt de leur frêle esquif...
Le Commandant-Viort, lui, est brutalement pris par une vague énorme qui le retourne. Le canot quille en l'air se rapproche de la côte. Une chaîne s'organise pour tenter de récupérer les hommes agrippés à la coque. Elle pourra en repêcher deux et le patron Le Hécho qui s'efforçait de gagner la terre à la nage. Le canot, réputé insubmersible n'arrivera pas à se redresser. Il finira par s'échouer, quille en l'air, livrant alors les corps de deux matelots, dont Le Pen, qui n'avaient pu se libérer de leurs liens. Les corps des autres naufragés du bateau de sauvetage et du cargo dont la coque s'est rompue au matin du 26 février, seront retrouvés sur les plages de l'île, au gré des courants..

"Texte et photos : Jean Clair-Guyot

Le bilan final de ce naufrage est très lourd : 5 survivants sur 19 pour le cargo; 3 sur 8 pour le canot (dont un seul des volontaires). Les cercueils de Joachim Uhel et de Louis Le Pen furent ramenés à Port-Louis par le "Gloire-à-Dieu" le 3 mars 1925."

Les victimes du CRISTINA RUEDA : Don Gregorio Amezaga , premier officier - Claudio Oar-Arteta , premier machiniste - Alvaro Fernandez , deuxième ingénieur - José Muñiz - Antonio Trubio - Jose Lopez et José Marelo , marins - Don Leandro Orbe , chauffeurs - Don Benito Sanmartin - Perfecto Sanchez et Eugenio Agis , chauffeurs - Don Jose Berdiel , soutier - Don Matias Goti , serveur et Don Jose Maria Zubeldia , cuisinier.

Capitaine  Monasterio

Cinq sauveteurs

Le capitaine Monasterio et les deux sauveteurs rescapés (Tonnerre et Cadoret)

Le Hecho, Patron du Commandant-Viort

Récit des secours (Annales du Sauvetage Maritime)

"Le cargo espagnol Cristina Rueda, monté par dix-neuf hommes d'équipage, se rendait de Paimboeuf à Pasajes (Espagne) avec un chargement de superphosphates, lorsque, assailli par la tempête et n'étant plus maître de sa manoeuvre, il vint s'échouer, dans la nuit du lundi 23 février, sur la côte sud de l'île de Ré, à 2 milles environ par le travers du village du Bois.

Dès l'échouage, deux hommes ayant pu embarquer dans un canot réussirent à gagner la terre, et c'est par eux que le sinistre fut signalé. Dans la matinée du mardi 24, trois braves pêcheurs de La Couarde, le patron Guérande-Lafleur et les deux matelots Cochard père et fils, ne craignirent pas de se porter avec leur simple canot au secours des naufragés. Ils réussirent à en recueillir deux qui s'étaient réfugiés sur un radeau de fortune. Dans la journée, vers 13 heures, on vit un autre radeau se rapprocher de terre petit à petit, poussé par le vent du large. Une équipe, dirigée par M. Cognac, maître de port à Saint-Martin, se tenait en permanence sur le rivage. Lorsque le radeau ne fut plus qu'à une centaine de mètres de terre, une chaîne fut organisée, et l'on parvint à saisir les malheureux, qui étaient complètement épuisés. Un seul put être ramené à la vie, c'était le capitaine du navire.
Cependant l'alarme, donnée d'abord au village du Bois, avait été transmise à La Rochelle qui, à son tour, alerta les deux canots de sauvetage à moteur de la région : le Charles-et-Frank-Allenet, de La Pallice, appartenant à notre Société, et le Commandant-Viort, de La Rochelle, appartenant aux Hospitaliers Sauveteurs Bretons. Ces transmissions d'avis, depuis le Bois jusqu'à La Rochelle, furent malheureusement tardives, et ce retard fut la cause déterminante des insuccès ultérieurs, car on était dans une marée à fort coefficient et la mer baissait, de sorte que, lorsque les canots de sauvetage furent alertés, il restait à La Pallice bien juste assez d'eau pour le lancement du canot, pendant qu'à La Rochelle, où il y a beaucoup moins d'eau qu'à La Pallice, le lancement était devenu impossible pour plusieurs heures.

Quoi qu'il en soit, notre canot à moteur de La Pallice, le Charles-et-Frank-Allenet, fut immédiatement lancé. Mais au moment où il arrivait à l'eau avec vitesse, un chaland qui gênait le passage vint en travers sous l'effet d'une rafale et heurta notre canot, lui causant des avaries à l'arrière et démolissant le gouvernail. Le Charles-et-Frank-Allenet fut mis ainsi hors de cause pour une réparation indispensable qui exigea trois jours de travail. L'Administrateur de la Marine de La Rochelle, informé de ce qui venait de se passer à La Pallice, donna l'alerte à notre station des Baleines, constituée par un fort canot à rames et à voiles, l’Armand-Forquenot. On fit venir de Saint-Martin (distance 20 kilomètres) un tracteur automobile. Remorqué par ce tracteur, l’Armand-Forquenot sur son chariot arriva vers 15 heures au Martray où il prit la mer. Vers 16 heures il était auprès du Cristina Rueda dont il fit le tour sans voir personne à bord. A cette heure- là, la mer était haute et submergeait totalement le pont dû navire ; les malheureux survivants avaient dû s'enfermer dans un compartiment étanche, et rien ne pouvait faire deviner leur présence, l'Armand-Forquenot n'avait plus qu'à s'éloigner ; faisant route à la voile, il doubla la pointe sud de l'Ile de Ré, et gagna La Flotte, sur la ccte sud-est, où il passa la nuit. Cependant le canot Commandant-Viorl, des Hospitaliers Sau- veteurs Bretons, avait pris la mer dès qu'il y avait eu assez d'eau à La Rochelle pour le faire flotter. Lorsqu'il arriva près du lieu du sinistre, il rencontra l'Armand-Forquenot dont les hommes lui dirent qu'ils n'avaient vu personne à bord du navire espagnol. Le Commandant-Viort vira de bord à son tour et rentra à La Rochelle.

Mais on ne tarda pas beaucoup à apprendre par le capitaine du navire qu'il restait encore à bord plusieurs hommes vivants, et l'alerte fut de nouveau donnée. Il ne pouvait être question pour l'Armand-Forquenot, rentré à La Flotte, de regagner, par la voie de mer le lieu du sinistre à cause de la grande distance à parcourir avec le vent contraire. Notre canot à moteur de La Pallice était, on l'a vu, immobilisé par suite de l'abordage de la veille. Seul le canot à moteur de La Rochelle Commandant-Viort put, dans la matinée du 24, appareiller de nouveau. Arrivé à proximité du Cristina-Rueda vers 13 heures, alors qu'il se disposait à entreprendre les opérations de sauvetage, une lame le fit chavirer. Nous ne nous étendrons pas ici sur ce douloureux événement qui a été amplement commenté en sens divers dans de nombreux articles de presse. Le Commandant-Viort, poussé par le vent, vint finalement s'échouer sur le rivage sablonneux de l'île, où il reposa sur ses tambours AV et AR. Avec le canot, trois hommes, dont le patron, ayant réussi à se cramponner à la quille, arrivèrent vivants à terre. Les cinq autres périrent dans la catastrophe."

Petit Journal

La Société centrale de Sauvetage des Naufragés a salué la dépouille de ces vaillants sauveteurs tombés victimes de leur héroïque dévouement. Deux d'entre eux étaient de La Rochelle et faisaient partie de l'équipage régulier du canot ; les trois autres étaient des pêcheurs de passage qui avaient embarqué occasionnellement à bord du Commandant-Viort : l'un était des Sables-d'Olonne, les deux autres étaient de Lorient. Nous avons fait remettre immédiatement à leurs familles un secours de 5.000 francs, auquel se sont jointes plus tard quelques autres sommes qui nous ont été confiées à cet effet par divers donateurs.

Des dix-neuf hommes du Cristina-Rueda, cinq avaient réussi à se sauver et cinq avaient péri au cours des mêmes tentatives. Neuf survivants étaient encore à bord, ils furent engloutis avec leur navire lorsque celui-ci disparut, brisé par les assauts ininterrompus de la mer déchaînée. Tel est le long et douloureux drame qui a si vivement et à juste titre ému l'opinion publique. Il nous reste à dégager, ainsi qu'il est nécessaire en pareil cas, la moralité de l'événement.
La première remarque qui s'impose est que l'alarme a été donnée beaucoup trop tardivement. Si les canots de sauvetage avaient été alertés deux ou trois heures plus tôt, les canots à moteur de La Pallice et de La Rochelle auraient eu l'un et l'autre assez d'eau pour être lancés et se mettre en route aussitôt. Arrivés auprès du Cristina Rueda vers 10 heures ou même 11 heures du matin le lundi 23, ils auraient, selon toute vraisemblance, effectué le sauvetage avec un plein succès (un seul des deux canots eût même suffi), d'autant mieux que, dans cette matinée, la mer était, beaucoup moins mauvaise qu'elle ne l'est devenue ensuite... Il est aussi très regrettable que notre cale de La Pallice ne se soit pas trouvée dégagée quand il fallut lancer le canot. Il en résulta un abordage et des avaries qui l'immobilisèrent. Sans cet événement déplorable, le Charles-et-Frank-Allenet, mis en route vers 10 h. 30, se serait trouvé auprès du navire espagnol plusieurs heures avant tout autre canot, et à une heure de marée où les opérations de sauvetage auraient pu être entreprises avec les meilleures chances de réussite.

Ce furent là les causes déterminantes des événements qui suivirent. L'intervention de notre Armand-Forquenot ne pouvait être que beaucoup plus lente. Par une coïncidence fatale, le moment où il arriva sur les lieux se trompa être celui de la pleine mer, le pont du bateau espagnol était submergé, les hommes qui étaient à bord avaient dû se réfugier dans un compartiment étanche, et rien ne décelait leur présence. Il en était de même lorsque, un peu plus tard, le Commandant-Viort approcha à son tour. Enfin, le lendemain, l'accident survenu au Commandant-Viort enleva aux malheureux naufragés la dernière chance qu'il leur restât d'être sauvés."

Position

Carte du naufrage

Zone : 46 01 30 - Ré
Latitude : 46° 10',1481 N - longitude : 001° 24',8294 W

Notes

1. LÉON VIORT : né le 28 juin 1880 au Beausset (Var) entra au Cours de Marine de Saint-Charles en 1895 et fut reçu au Borda en septembre 1897 le sixième de sa promotion. Pendant la guerre, on lui confia le commandement du sous-marin Ariane, chargé d'assurer la navigation dans la Méditerranée. Le 19 juillet 1917, l'Ariane était aux prises avec deux sous-marins ennemis et, atteint par une torpille, il coulait avec tout son équipage. On retrouva le corps du commandant Viort, flottant, couvert de sa grande pèlerine, à deux milles au Nord du cap Bon.

Sources

S.H.O.M. France 2006 ; "Le terrible naufrage du Cristina Rueda", Les Cahiers de la Mémoire", groupement d'étude Rétaises ; L'illustration (7 mars 1925) ; The National Archives, Kew (BT 110/14/80 : Ship Caradoc, official number: 65451. When built: 1873. Registry closed: 1899) ; Miramar Ship Index, R.B. Haworth, Wellington, New Zealand, 2006 ; " Recuerdos y pequeñas historias de Leioa" de Segundo de Jauregizuria, 2001 ; Annales du sauvetage maritime (1925/01 (A60)-1925/06) ;